Aller au contenu

Page:Les Deux Bourgognes, tome 7, 1838.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Parmi ces villes qui s’en vont, il n’en est pas une qui offre un spectacle plus triste que la vieille Padoue, dont l’enceinte, assez grande pour contenir cent mille âmes, n’en a pas vingt-cinq aujourd’hui. Lorsque le voyageur traverse cette ancienne patrie de Tite-Live, qui prétend faire remonter ses souvenirs jusqu’à l’époque de la guerre de Troie, il sent la compassion le saisir en voyant tous ces édifices moussus, toutes ces rues désertes qui s’enfoncent à perte de vue entre des murs de jardins, interrompus de loin à loin par des maisons lézardées dont les fenêtres sont hermétiquement closes. Sur les vastes places, il ne voit personne ; personne sous les portiques lombards qui n’abritent plus que l’échoppe misérable du fripier juif ou l’étalage de quelque revendeur de librairie. Il se demande combien de temps encore la charrue respectera ces murs inhabités, et l’on peut croire que, sans son université qui seule la soutient encore, il y a longtemps que Padoue n’existerait plus.

Cependant, tout engourdie qu’elle soit déjà par la mort, il y a une époque où l’Italie entière s’agite d’un mouvement convulsif ; c’est lorsqu’arrive carnaval. Alors toutes ces vieilles cités s’émoustillent et jettent de grands éclats de rire ; elles tirent de leur garde-robe fanée tout le fard, toute la joie, toutes les défroques du temps passé. C’est pitié de voir les vieux édifices, qui froncent le sourcil le reste de l’année, vomir ce jour-là des fantômes crottés, couverts de clinquant. Les rues, sombres et silencieuses comme au temps du Dante, semblent pleurer de la gaieté sacrilège des étudiants en goguette. Et s’il faut dire la vérité, en entendant des cris de joie, des bruits d’instruments, des lazzis tumultueux sortir d’entre ces habitations vermoulues qui menacent de tomber les unes sur les autres, on éprouve le même sentiment qu’auprès d’un mort qui se mettrait tout à coup à rire sous l’influence de la pile galvanique et qui entonnerait une chanson de Bérenger, en se trémoussant dans son linceul.

Or, il n’y a pas encore bien longtemps que le carnaval