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LES RAVAGEURS

de la moustache du chat pousse aux dépens de la substance de la bête, substance qui s’acquiert par l’alimentation.

La larve est précisément dans ce cas : elle n’a rien, ou à peu près, de ce que doit avoir l’insecte parfait. Elle doit donc amasser, en vue des changements futurs, des matériaux de rechange ; elle doit manger pour deux : pour elle d’abord, et puis pour l’insecte qui proviendra de sa substance transformée, remise au moule en quelque sorte. Aussi les larves sont-elles douées d’un incomparable appétit. Manger, vous ai-je dit, est leur unique affaire. Elles mangent de jour, de nuit, souvent sans discontinuer, sans reprendre haleine. Perdre une bouchée, quelle imprudence ! Le papillon futur aurait peut-être une écaille de moins à ses ailes. On mange donc gloutonnement, on prend du ventre, on se fait gros, gras, dodu. C’est le devoir des larves.

Les unes s’attaquent aux plantes ; elles broutent les feuilles, elles mâchent les fleurs, elles mordent la chair des fruits. D’autres ont un estomac assez robuste pour digérer le bois ; elles se creusent des galeries dans les troncs d’arbre, elles liment, elles râpent, elles mettent en poudre le chêne le plus dur, aussi bien que le saule tendre. Celles-ci préfèrent les matières animales en décomposition ; elles hantent les cadavres infects, elles font ventre de la pourriture. Celles-là fréquentent les ordures et se repaissent d’immondices. Ce sont toutes des vidangeuses, à qui est dévolue la haute mission de nettoyer la terre de ses souillures. Des nausées vous prennent au seul souvenir de ces vers qui grouillent dans la sanie, et