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Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/246

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Antonio VINIZIANO
Peintre vénitien, ..... deuxième moitié du XIVe siècle

Beaucoup d’hommes se décident à quitter leur patrie, se voyant en but aux morsures de l’envie et aux persécutions de leurs concitoyens ; et là où ils voient leur mérite reconnu et honoré, ils s’arrêtent et y établissent leur demeure. Il arrive alors que souvent ils deviennent de grands artistes, stimulés par le désir de tirer ainsi vengeance de ceux qui les ont outragés, tandis qu’ils ne seraient peut-être jamais sortis de la médiocrité s’ils avaient vécu tranquillement dans leur première patrie. Antonio Viniziano[1], qui suivit Agnolo Gaddi à Florence pour y apprendre la peinture, acquit la bonne manière de peindre, de telle sorte que non seulement il fut aimé et estimé par les Florentins, mais encore grandement caressé, à cause de son talent et de ses autres qualités. Il lui vint alors l’idée de retourner à Venise pour s’y faire voir et retirer quelque fruit des fatigues qu’il avait endurées. S’étant fait connaître par plusieurs ouvrages à fresque et en détrempe, il fut chargé par la Seigneurie de peindre une des parois de la salle du Conseil[2]. Il conduisit ce travail à bonne fin, avec tant de maîtrise qu’il aurait dû en retirer une honorable récompense ; mais la rivalité ou plutôt l’envie des autres artistes et la grande faveur que quelques gentilshommes témoignaient à des peintres étrangers furent cause qu’il en arriva tout autrement. Le pauvre Antonio, triste et froissé, n’eut pas de meilleur parti à prendre que de retourner à Florence et de l’adopter pour nouvelle patrie, avec le dessein de ne plus jamais retourner à Venise. Établi à Florence, il y peignit, sur un arceau du cloître de Santo Spirito, Jésus-Christ ordonnant à Pierre et à André de quitter leurs filets, et, sous les trois arceaux peints par Stefano[3], dans le même endroit, le miracle de la multiplication des pains. Dans cette dernière composition, il fit preuve de beaucoup d’art et d’affection : on voit, dans la figure du Christ, avec quelle ardente charité le Sauveur fait distribuer du pain à la foule affamée. Il en est de même de l’ardeur d’un apôtre qui, avec un geste admirable, s’empresse de distribuer le pain contenu dans un panier. Que celui qui veut peindre apprenne par là à toujours

  1. Antonio di Francesco da Venezia, immatriculé le 20 septembre 1374. À la même époque, on trouve un peintre florentin, Antonio di Francesco Vanni, immatriculé le 7 février 1382.
  2. Peintures détruites dans l’incendie du palais ducal en 1573.
  3. Les peintures d’Antonio et de Stefano à Santo Spirito n’existent plus.