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Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/416

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mort et faisant des miracles[1]. Une foule d’estropiés recouvrent la santé en touchant son cercueil, et on remarque des Frères qui pleurent la mort de leur maître. C’est une chose admirable à voir que leurs belles figures, pleines de tristesse, rendues avec un grand art et beaucoup de vérité. Plusieurs frocs de moines ont de beaux plis et méritent des louanges infinies pour le dessin, le coloris, ainsi que pour la composition, la grâce et les bonnes proportions qu’on voit dans toute cette œuvre exécutée avec le plus grand soin par la main délicate de Fra Filippo.

Il lui fut ensuite commandé par les fabriciens de ladite église[2], qui voulaient avoir une œuvre de lui, de peindre la chapelle du maître-autel. Il y mit tant de preuves de son savoir-faire, qu’outre la beauté et le grand art répandus dans cette œuvre, on y voit des têtes et des draperies admirables. Il fit ses figures plus grandes que nature, ce qui inspira à nos artistes modernes le goût de donner de la grandeur à la manière actuelle. On y remarque quelques figures couvertes de vêtements peu en usage à cette époque, et il a encouragé ainsi les esprits à sortir de cette rusticité que l’on peut appeler plutôt vieillotte qu’antique. Du côté droit de la chapelle, il représenta l’histoire de saint Étienne, à qui l’église est dédiée, à savoir : la Dispute, la Lapidation et la Mort de ce protomartyr. Dans la scène où il est représenté disputant contre les Hébreux, il montre tant de zèle et de ferveur, que c’est une chose difficile à imaginer, à plus forte raison à représenter. Les visages et les attitudes des Juifs témoignent la haine et la fureur de se voir vaincus par lui. Leur rage et leur bestialité se manifestent encore plus ouvertement dans ceux qui l’accablent de pierres, qui en jetant de grosses, qui en jetant de petites, avec un horrible grincement de dents et des gestes pleins de fureur et de cruauté. Dans un si terrible assaut, saint Étienne, avec un visage serein et levé vers le ciel, supplie avec charité et ferveur l’Éternel de pardonner à ceux qui le tuent ; toutes considérations fort belles et capables de montrer ce que vaut l’invention et le pouvoir d’exprimer les différentes passions en peinture ; c’est ce que l’on observe également dans ceux qui ensevelissent saint Étienne, dont les visages et les

  1. Tableau en place, commandé par Geminiano Inghirami, prévôt de l’église, mort en 1460, et qui y est représenté.
  2. Commandé par le même Inghirami, en 1456. Fresques signées FRATER FILIPPVS OP. Pourtant, dans un document du 11 août 1462, Lippi est appelé dipintore della capella Maggiore della Pieve di Prato. Ces peintures, qui existent encore, n’étaient pas terminées en 1464.