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Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/104

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Mariotto dans le désespoir. Cette nouvelle lui parut si étrange que plus rien ne l’égayait, et, s’il n’eût pas été du parti opposé à la faction de Savonarola et n’eût pas autant détesté la société des moines, dont il disait sans cesse du mal, il est probable que son affection l’eût poussé à s’encapuchonner dans le couvent de Baccio. Celui-ci avait laissé inachevé le Jugement dernier que Gerozzo Dini lui avait commandé pour le cimetière de Santa Maria Nuova. Comme le carton et tous les dessins étaient terminés et que Mariotto était prié par Baccio qui avait reçu un acompte et se faisait scrupule de ne pas tenir ses engagements, il termina la fresque de manière que beaucoup la croient sortie d’une seule main. Dans le chapitre de la Chartreuse de Florence, il peignit à fresque un Christ avec la Vierge et Madeleine au pied de la croix et quelques anges dans les airs qui recueillent son sang[1], œuvre exécutée avec une grande perfection. Il fit, pour les religieuses de San Giuliano, à Florence, le tableau du maître-autel[2], qu’il peignit dans son atelier à Gualfonda, ainsi qu’un autre pour la même église, représentant la Trinité, sur fond d’or et à l’huile. Mariotto était d’humeur inquiète et très porté sur l’amour ainsi que sur la bonne chère ; les médisances, les satires, qui ont toujours eu cours parmi les peintres et dont l’usage s’est conservé jusqu’à ce jour, lui rendirent l’art tellement odieux qu’il résolut de le quitter, et ouvrit une belle auberge, hors de la Porta San Gallo, et, au Ponte Vecchio, une taverne du Dragon qu’il tint lui-même plusieurs mois, disant qu’enfin il cultivait un art où il ne rencontrait ni muscles, ni raccourcis, ni perspectives et surtout point de critiques. Mais il se dégoûta bientôt de ce triste métier et se remit à la peinture. Entre autres tableaux qu’il peignit à cette époque, il fit, pour la Compagnie de San Zanobi, à côté de la maison canoniale de Santa Maria del Fiore, une Annonciation[3] qu’il termina avec beaucoup de soin et de travail. Il s’était mis dans la tête que les peintures qui ne réunissaient pas la vigueur et le relief à une certaine douceur n’étaient pas à estimer. Comme il reconnaissait que les ombres seules donnent le relief ; que, cependant, si elles sont trop fortes, elles ne produisent aucun effet, et que, si elles sont trop faibles, la peinture reste plate et sans vigueur, il aurait voulu ajouter à la souplesse du modelé quelque chose que l’art ne lui semblait pas avoir compris ou rendu jusqu’alors. Il chercha à mettre ses idées à exécution dans ce tableau et se donna

  1. En place, signé, daté 1506.
  2. Une Vierge, signée : OPVS MARIOCTI. Ces deux tableaux sont à l’Académie du Beaux-Arts.
  3. À l’Académie des Beaux-Arts, signée : 1510. MARIOTTI FLORENTINI OPVS.