Page:Lesage - Œuvres, Didot, 1877.djvu/14

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faut en croire la chronique du temps, « une femme de condition lui donna son cœur, et lui fit part d’une fortune qui, toute bornée qu’elle étoit, parut considérable vis-à-vis celle de Lesage. » C’est aux auteurs de l’Histoire du théâtre français que nous empruntons cette anecdote assez vraisemblable d’ailleurs, mais fort peu authentique, du reste. Les frères Parfaict ajoutent : « Nous ignorons les événements qui suivirent ce commerce amoureux ; mais enfin la mort ou l’éloignement de cette dame terminèrent cette aventure. » Si celte histoire est vraie, il paroîtra du moins étrange que le nom de celle qui en fut l’héroïne soit resté inconnu. Cette liaison, en tout cas, dut être de bien courte durée, puisque Lesage, arrivé en 1692 à Paris, épousa, le 28 septembre 1694, Marie-Elisabeth Huyard, très-jolie personne, dont les vertus étoient l’unique richesse, et qui étoit fille d’un bourgeois de la cité.

Peu de temps après son mariage, Lesage se fit recevoir au parlement. On ignore s’il exerça, car bientôt il abandonna le litre d’avocat pour prendre celui de bourgeois de Paris. C’est à peu près vers celle époque que Danchet, qui professoit la philosophie à Chartres, l’engagea à traduire les Lettres galantes d’Aristénète, écrivain du ive siècle. Lesage suivit les conseils de son ami ; à l’aide de la traduction latine de Jacques Bongars, il arrangea une sorte d’imitation de l’ouvrage grec que Danchet fit imprimer à Chartres en 1695, sous la rubrique de Piotlerdam. Cet essai malheureux passa à peu près inaperçu. Lesage, qui s’étoit bercé de l’espérance d’un succès, fut un moment découragé : pour se procurer des ressources qui lui étoient absolument nécessaires, et que sa plume ne pouvoit pas encore lui fournir, il accepta un emploi modique auquel il renonça peu de temps après l’avoir obtenu, pour se livrer tout entier aux lettres, vers lesquelles une passion dominante l’entraînoit.

Le maréchal de Villeroy, qui désiroit se l’attacher, lui fit faire vainement les propositions les plus avantageuses. Lesage, quoique pauvre, refusa, bien résolu de ne plus appartenir désormais qu’à lui. L’abbé de Lyonne, son ami, en lui faisant une pension de six cents livres, dont il jouit durant sa vie entière, as- sura à tout jamais à Lesage cette tranquillité d’esprit si nécessaire à l’homme de lettres, et cette indépendance sans laquelle l’esprit le plus vigoureux se sent à chaque pas embarrassé dans sa marche et gêné dans son allure.

L’abbé de Lyonne ne crut pas encore avoir assez fait pour son ami : amateur passionné de la littérature castillane, il voulut lui enseigner la langue espagnole, et l’initier à des beautés littéraires tout-à-fait nouvelles pour lui. Si la mine qu’il ouvrit à Lesage étoit riche et féconde, il est bien certain qu’aucun homme n’étoit plus capable que lui de la bien exploiter.

Le premier fruit des nouvelles études de Lesage fut un volume in-12 publié en 1700, sous ce litre : Théâtre espagnol, ou les meilleures comédies des plus fameux auteurs espagnols, traduites en français ; ce volume contenoit le Traître puni, de don Francisco de Rojas, et Don Felix Mendoce, de Lope de Vega. En 1702, il donna au théâtre français le Point d’Honneur, comédie en cinq actes, imitée d’une pièce de don Francisco de Rojas. Cet ouvrage n’eut que deux représentations. Lesage le réduisit en trois actes, et le fit représenter vingt-trois ans après au théâtre italien, sous le titre de l’Arbitre des différends. Malgré les changements qu’elle avoit subis, cette comédie ne fut pas mieux accueillie sous sa seconde que sous sa première forme, et n’obtint pas un plus grand nombre de représentations.

Loin de se décourager de l’échec qu’avoit éprouvé le Point d’honneur, et d’abandonner des études dont le résultat s’annonçoit d’une manière si peu favorable, Lesage se remit courageusement à l’œuvre, et en 1705 il publia les Nouvelles Aventures de Don Quichotte, traduites d’Avellaneda. Ici, comme dans ses précédents ouvrages, il ne s’étoit pas assujetti aux lois d’une traduction purement littérale il avoit arrangé le roman à sa manière, et l’avoit rendu plus vif et plus amusant. Cependant, quelques heureuses modifications qu’eût subies l’ouvrage, la traduction n’eut pas plus de succès à Paris que l’original n’en avoit eu à Madrid.

Le 15 mars 1707, Lesage fit représenter dans la même soirée, au théâtre français, deux pièces, dont le sort fut tout-à-fait différent : Don César Ursin, comédie en cinq actes, imi-