Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/132

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n’attentât à son honneur. Il se défiait de tous ses amis, excepté de don Huberto de Hordalès, qui venait librement dans sa maison en qualité de cousin d’Estéphanie, et qui était le seul homme dont il dût se défier.

Effectivement, don Huberto devint amoureux de sa cousine, et osa lui déclarer son amour, sans avoir égard au sang qui les unissait, ni à l’amitié particulière que don Anastasio avait pour lui. La dame, qui était prudente, au lieu de faire un éclat qui aurait eu de fâcheuses suites, reprit son parent avec douceur, lui représenta jusqu’à quel point il était coupable de vouloir la séduire et déshonorer son mari, et lui dit fort sérieusement qu’il ne devait point se flatter de l’espérance d’y réussir.

Cette modération ne servit qu’à enflammer davantage le cavalier, qui, s’imaginant qu’il fallait pousser à bout une femme de ce caractère-là, commença d’avoir avec elle des manières peu respectueuses, et eut l’audace un jour de la presser de satisfaire ses désirs. Elle le repoussa d’un air sévère, et le menaça de faire punir sa témérité par don Anastasio. Le galant, effrayé de la menace, promit de ne plus parler d’amour ; et, sur la foi de cette promesse, Estéphanie lui pardonna le passé.

Don Huberto, qui, naturellement, était un très méchant homme, ne put voir sa passion si mal payée, sans concevoir une lâche envie de s’en venger. Il connaissait don Anastasio pour un jaloux susceptible de toutes les impressions qu’il voudrait lui donner. Il n’eut besoin que de cette connaissance pour former le dessein le plus noir dont un scélérat puisse être capable. Un soir qu’il se promenait seul avec ce faible époux, il lui dit de l’air du monde le plus triste : Mon cher ami, je ne puis vivre plus longtemps sans vous révéler un secret que je n’aurais garde de vous découvrir, si votre honneur ne vous était pas plus cher que votre repos. Votre délicatesse et la mienne en matière d’offenses ne me permettent pas de vous cacher ce qui