rigueurs qu’il s’était résolu de la perdre. Puis il expira en demandant pardon de sa faute au ciel, à don Anastasio, à Estéphanie et à moi. Je ne jugeai point à propos de retourner au logis pour informer ma mère de cet événement ; j’en laissai le soin à la renommée. Je passai les montagnes, et me rendis à la ville de Malaga, où je m’embarquai avec un armateur qui sortait du port pour aller en course. Je lui parus ne pas manquer de cœur ; il consentit volontiers que je me joignisse aux enfants de bonne volonté qu’il avait sur son bord.
Nous ne tardâmes guère à trouver une occasion de nous signaler. Nous rencontrâmes aux environs de l’île d’Albouran[1] un corsaire de Melilla[2] qui retournait vers les côtes d’Afrique avec un bâtiment espagnol qu’il avait pris à la hauteur de Carthagène, et qui était richement chargé. Nous attaquâmes vivement l’Africain, et nous nous rendîmes maître de ses deux vaisseaux, où il y avait quatre-vingts Chrétiens qu’il emmenait esclaves en Barbarie. Alors, profitant d’un vent qui s’éleva, et qui nous était favorable pour gagner la côte de Grenade, nous arrivâmes en peu de temps à Punta de Helena.
Comme nous demandions aux esclaves que nous avions délivrés de quel endroit ils étaient, je fis cette question à un homme de très bonne mine, et qui pouvait bien avoir cinquante ans. Il me répondit en soupirant qu’il était d’Antequerre. Je me sentis ému de sa réponse sans savoir pourquoi : et mon émotion, dont il s’aperçut, excita en lui un trouble que je remarquai. Je suis, lui dis-je, votre concitoyen. Peut-on vous demander le nom de votre famille ? Hélas ! me répondit-il, vous renouvelez ma douleur en exigeant de moi que je satisfasse votre curiosité. Il y a dix-huit années que j’ai quitté le séjour d’Antequerre, où l’on ne doit se souvenir de moi qu’avec horreur. Vous n’avez peut-