Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cipal de ces cavaliers, étant monté avec moi, dit au cocher de toucher vers Ségovie. Je jugeai bien que c’était un honnête alguazil que j’avais à mon côté. Je voulus le questionner pour savoir le sujet de mon emprisonnement ; mais il me répondit sur le ton de ces messieurs-là, je veux dire brutalement, qu’il n’avait point de compte à me rendre. Je lui dis que peut-être il se méprenait. Non, non, repartit-il, je suis sûr de mon fait. Vous êtes le seigneur de Santillane ; c’est vous que j’ai ordre de conduire où je vous mène. N’ayant rien à répliquer à ces paroles, je pris le parti de me taire. Nous roulâmes le reste de la nuit le long du Mançanarez, dans un profond silence. Nous changeâmes de chevaux à Colmenar, et nous arrivâmes sur le soir à Ségovie, où l’on m’enferma dans la tour.


CHAPITRE IV

Comment Gil Blas fut traité dans la tour de Ségovie et de quelle manière il apprit la cause de sa prison.


On commença par me mettre dans un cachot où l’on me laissa sur la paille comme un criminel digne du dernier supplice. Je passai la nuit, non pas à me désoler, car je ne sentais pas encore tout mon mal, mais à chercher dans mon esprit ce qui pouvait avoir causé mon malheur. Je ne doutais pas que ce ne fût l’ouvrage de Calderone. Cependant j’avais beau le soupçonner d’avoir tout découvert, je ne concevais pas comment il avait pu porter le duc de Lerme à me traiter si cruellement. Tantôt je m’imaginais que c’était à l’insu de Son Excellence que j’avais été arrêté ; et tantôt je pensais que c’était elle-même qui, pour quelque raison politique, m’avait fait emprisonner, ainsi que les ministres en usent quelquefois avec leurs favoris.