Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/221

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sition. Combien peut valoir ce petit domaine ? me dit-il. Cinq cents ducats de rente, lui répondis-je, et je puis t’assurer que c’est une aimable solitude. Je la connais pour y avoir été plusieurs fois en qualité d’intendant des seigneurs de Leyva. C’est une petite maison sur les bords du Guadalaviar, dans un hameau de cinq ou six feux, et dans un pays charmant.

Ce qui m’en plaît davantage, s’écria Scipion, c’est que nous aurons là de bon gibier, avec du vin de Benicarlo et d’excellent muscat. Allons, mon patron, hâtons-nous de quitter le monde et de gagner notre ermitage. Je n’ai pas moins d’envie d’y être que toi, lui repartis-je ; mais il faut auparavant que je fasse un tour aux Asturies. Mon père et ma mère n’y sont pas dans une heureuse situation. Je prétends les aller chercher pour les conduire à Lirias, où ils passeront en repos leurs derniers jours. Le ciel ne m’a peut-être fait trouver cet asile que pour les y recevoir, et il me punirait si j’y manquais. Scipion loua fort mon dessein ; il m’excita même à l’exécuter. Ne perdons point de temps, me dit-il : je me suis assuré déjà d’une chaise roulante ; achetons vite des mules, et prenons le chemin d’Oviedo. Oui, mon ami, lui répondis-je, partons le plus tôt qu’il nous sera possible. Je me fais un devoir indispensable de partager les douceurs de ma retraite avec les auteurs de ma naissance. Nous nous verrons bientôt dans notre hameau ; et je veux, en y arrivant, écrire sur la porte de ma maison ces deux vers latins en lettres d’or :

Inveni portum. Spes et Fortuna, valete !
Sat me lusistis ; ludite nunc alios
[1] !

  1. Je suis au port. Espérance et Fortune, adieu. Vous m’avez assez joué ; jouez-en d’autres à présent !