Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/26

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il n’y paraissait plus. Mais son esprit en reçut une rude atteinte. Je le remarquai bien dès la première homélie qu’il composa. Je ne trouvai pas toutefois la différence qu’il y avait de celle-là aux autres assez sensible pour conclure que l’orateur commençait à baisser. J’attendis encore une homélie pour mieux savoir à quoi m’en tenir. Oh ! pour celle-là, elle fut décisive. Tantôt le bon prélat se rabattait, tantôt il s’élevait trop haut ou descendait trop bas. C’était un discours diffus, une rhétorique de régent usé, une capucinade.

Je ne fus pas le seul qui y prit garde. La plupart des auditeurs, comme s’ils eussent été aussi gagés pour l’examiner, se disaient tout bas les uns aux autres : Voilà un sermon qui sent l’apoplexie. Allons, monsieur l’arbitre des homélies, me dis-je alors à moi-même, préparez-vous à faire votre office. Vous voyez que monseigneur tombe ; vous devez l’en avertir, non seulement comme dépositaire de ses pensées, mais encore de peur que quelqu’un de ses amis ne soit assez franc pour vous prévenir. En ce cas-là vous savez ce qu’il en arriverait ; vous seriez biffé de son testament, où il y aura sans doute pour vous un meilleur legs que la bibliothèque du licencié Sedillo.

Après ces réflexions j’en faisais d’autres toutes contraires : l’avertissement dont il s’agissait me paraissait délicat à donner. Je jugeais qu’un auteur entêté de ses ouvrages pourrait le recevoir mal ; mais, rejetant cette pensée, je me représentais qu’il était impossible qu’il le prît en mauvaise part, après l’avoir exigé de moi d’une manière si pressante. Ajoutons à cela que je comptais bien de lui parler avec adresse, et de lui faire avaler la pilule tout doucement. Enfin trouvant que je risquais davantage à garder le silence qu’à le rompre, je me déterminai à parler.

Je n’étais plus embarrassé que d’une chose ; je ne savais de quelle façon entamer la parole. Heureusement l’orateur lui-même me tira de cet embarras, en me