Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/264

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je passai d’une extrémité à l’autre. Je me répandis en discours galants, et parlai avec tant de vivacité, que j’alarmai Basile, qui, me considérant comme un homme qui allait tout mettre en usage pour déjà séduire Antonia, se hâta de sortir avec elle de mon appartement, dans la résolution peut-être de la soustraire à mes yeux pour jamais.

Scipion, se voyant seul avec moi, me dit en souriant : Seigneur de Santillane, autre ressource pour vous contre l’ennui ! Je ne savais pas que votre fermier eût une fille si jolie ; je ne l’avais point encore vue, j’ai pourtant été deux fois chez lui. Il faut qu’il ait grand soin de la tenir cachée, et je le lui pardonne. Malepeste ! voilà un morceau bien friand. Mais, ajouta-t-il, je ne crois pas qu’il soit nécessaire qu’on vous le dise ; elle vous a d’abord ébloui, je m’en suis aperçu. Je ne m’en défends pas, lui répondis-je. Ah ! mon enfant, j’ai cru voir une substance céleste : elle m’a tout à coup embrasé d’amour ; la foudre est moins prompte que le trait qu’elle a lancé dans mon cœur.

Vous me ravissez, reprit mon secrétaire avec transport, en m’apprenant que vous êtes enfin devenu amoureux. Il vous manquait une maîtresse pour jouir d’un parfait bonheur dans votre solitude. Grâce au ciel, vous y avez présentement toutes vos commodités ! Je sais bien, continua-t-il, que nous aurons un peu de peine à tromper la vigilance de Basile, mais c’est mon affaire ; et je prétends avant trois jours vous procurer un entretien secret avec Antonia. Monsieur Scipion, lui dis-je, peut-être pourriez-vous bien ne me pas tenir parole, quelque talent que vous ayez pour les amoureuses négociations ; mais c’est ce que je ne suis pas curieux d’éprouver. Je ne veux point tenter la vertu de cette fille, qui me paraît mériter que j’aie d’autres sentiments pour elle. Ainsi, loin d’exiger de votre zèle que vous m’aidiez à la déshonorer, j’ai dessein de l’épouser par votre entremise, pourvu que son cœur ne soit