Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/372

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à la cour pour rendre compte de ma conduite. Je demeurai un quart d’heure dans un stupide silence ; puis, reprenant la parole : De quoi, lui dis-je, vous accuse-t-on ? Il faut bien que vous ayez fait quelque chose imprudemment. J’impute, répondit-il, ma disgrâce à la visite que j’ai faite, il y a trois semaines, au cardinal duc de Lerme, qui depuis un mois est relégué dans son château de Denia.

Oh ! vraiment, interrompis-je, vous avez raison d’attribuer votre malheur à cette visite indiscrète ! n’en cherchez point la cause ailleurs ; et permettez-moi de vous dire que vous n’avez pas consulté votre prudence ordinaire, lorsque vous avez été voir ce ministre disgracié. La faute en est faite, me dit-il, et j’ai pris de bonne grâce mon parti : je vais me retirer avec ma famille au château de Leyva, où je passerai dans un profond repos le reste de mes jours. Tout ce qui me fait de la peine, ajouta-t-il, c’est d’être obligé de paraître devant un superbe ministre qui pourra me recevoir peu gracieusement. Quelle mortification pour un Espagnol ? Cependant c’est une nécessité ; mais, avant que m’y soumettre, j’ai voulu vous parler. Seigneur, lui dis-je, laissez-moi faire ; ne vous présentez pas devant le ministre, que je n’aie su auparavant de quoi l’on vous accuse ; le mal n’est peut-être pas sans remède. Quoi qu’il en soit, vous trouverez bon, s’il vous plaît, que je me donne pour vous tous les mouvements qu’exigent de moi la reconnaissance et l’amitié. À ces mots, je le laissai dans son hôtellerie, en l’assurant qu’il aurait incessamment de mes nouvelles.

Comme je ne me mêlais plus d’affaires d’État depuis les deux mémoires dont il a été fait une si éloquente mention, j’allai trouver Carnero, pour lui demander s’il était vrai qu’on eût ôté à don Alphonse de Leyva le gouvernement de la ville de Valence. Il me répondit que oui, mais qu’il en ignorait la raison. Là-dessus, je pris sans balancer la résolution de m’adresser à mon-