Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/428

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rues, et on ne l’appelle plus que le fils de la Génoise. Jugez s’il est gracieux pour un garçon d’honneur de servir un homme déshonoré.

Nous partîmes enfin de Madrid un beau jour au lever de l’aurore, et nous prîmes la route de Cuença. Voici dans quel ordre et dans quel équipage : nous étions, mon confident et moi, dans une chaise tirée par deux mules conduites par un postillon ; trois mulets chargés de nos hardes et de notre argent, et menés par deux palefreniers, nous suivaient immédiatement ; et deux grands laquais, choisis par Scipion, venaient ensuite montés sur deux mules et armés jusqu’aux dents : les palefreniers, de leur côté, portaient des sabres, et le postillon avait deux bons pistolets à l’arçon de sa selle. Comme nous étions sept hommes dont il y en avait six fort résolus, je me mis gaiement en chemin, sans appréhender pour mon legs. Dans les villages par où nous passions, nos mulets faisaient orgueilleusement entendre leurs sonnettes ; les paysans accouraient à leurs portes pour voir défiler notre équipage, qui leur paraissait tout au moins celui d’un grand qui allait prendre possession d’une vice-royauté.


CHAPITRE XIII

Du retour de Gil Blas dans son château. De la joie qu’il eut de trouver Séraphine, sa filleule, nubile ; et de quelle dame il devint amoureux.


J’employai quinze jours à me rendre à Lirias, rien ne m’obligeant d’y aller à grandes journées ; tout ce que je souhaitais, c’était d’y arriver heureusement, et mon souhait fut exaucé. La vue de mon château m’inspira d’abord quelques pensées tristes, en me rappelant le souvenir d’Antonia : mais je sus bientôt m’en distraire, ne voulant m’occuper que de ce qui pouvait me faire