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les bastonnais

Pour toute réponse, la rougeur envahit les joues de Zulma et ses yeux bleus brillèrent d’un étrange éclat qui reflétait, non le défi, mais plutôt l’attente d’une émotion agréable.

— Attendez à demain matin, continua Pauline, et vous pourrez voyager sous la protection de quelque passe-port militaire. Je suis sûre que Roderick serait charmé de vous en procurer un.

Les lèvres de Zulma prirent une expression de mépris, mais elle ne répondit pas directement. Elle se contenta de déclarer de nouveau sa détermination de partir, rassurant tendrement son amie et l’embrassant avec effusion.

Il était environ quatre heures de l’après-midi et la lumière du jour s’était déjà considérablement obscurcie, quand le traîneau de Zulma arriva à la porte extérieure de la ville. L’officier de service essaya de la dissuader d’aller plus loin, mais elle expliqua si clairement sa situation et argumenta avec un tel air d’autorité, qu’il fut bien forcé de se plier à ses désirs.

Bon ! se dit-elle à elle-même avec un sourire, j’ai passé à travers un cercle d’acier. Il me reste à voir comment je vais traverser l’autre. Elle n’eut pas longtemps à attendre.

À environ deux milles de la ville, la route qu’elle parcourait, suivait la pente rapide d’une colline assez escarpée au pied de laquelle coulait un petit cours d’eau, enflé, à cette saison, par la fonte des neiges et rempli de glaçons. Au-dessus de ce cours d’eau était un pont couvert, à l’entrée fort obscure.

En commençant la descente, l’obscurité et la solitude de la gorge agitèrent les nerfs de Zulma, et elle excita son cheval afin de passer le pont aussi vite que possible. Ses yeux fouillaient tous les recoins du ravin, et ce fut avec un soupir de soulagement, qu’elle approcha du pont sans avoir vu un être humain. Mais tout à coup, au moment les sabots du cheval foulaient les premières planches du pont, l’animal devint rétif. Il secoua la tête, se balança à droite et à gauche dans les traits et donna d’autres signes évidents d’une peur causée par un danger qu’il voyait devant lui. Zulma essaya de le forcer à continuer sa course ; mais ces efforts ne firent qu’accroître la terreur du cheval. Le domestique, jeune paysan niais, doué de plus de force que de courage, se tourna vers elle, la consternation peinte sur sa figure décolorée, et murmura quelque chose où il était question d’obéir à l’instinct de l’animal et de ne pas s’aventurer à aller plus loin.

— Descendez et allez voir ce qu’il y a, s’écria-t-elle. Si vous avez peur, j’irai moi-même.

Notre homme descendit lentement de la voiture et reconnaissant