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les bastonnais

toute grande. Barbin et deux autres hommes, étroitement encapuchonnés, étaient là debout devant lui.

— Entrez, dit Batoche, je vous attendais.

Il n’y avait dans ses manières ni agitation, ni excentricité, mais ses traits étaient altérés et ses yeux gris jetaient une lumière sombre sur les ombres épaisses de leurs cavités.

— Nous sommes venus vous chercher, Batoche, dit Barbin.

— Je le savais.

— Êtes-vous prêt ?

— Oui.

Et il fit un pas pour prendre sa vieille carabine.

— Pas de fusil, dit Barbin, en posant la main sur le bras du vieillard. Vous ne devez pas attaquer et vous ne serez pas attaqué.

— Ah ! je vois, murmura Batoche en jetant sur ses épaules son capot de chat sauvage.

— Vous savez les nouvelles ?

— Je sais qu’il y a des nouvelles.

— Le jour de délivrance est arrivé.

— Enfin ! s’écria l’ermite en levant les yeux au plafond.

— Les Bastonnais ont investi la ville.

— Et les loups, seront-ils pris au piège ? demanda Batoche d’une voix de tonnerre. Ha ! ha ! j’ai tout entendu dans le chant de mon vieux violon. J’ai entendu le bruit de leur marche à travers la forêt ; leurs cris de triomphe, en arrivant sur les hauteurs de Lévis et en voyant, pour la première fois, le rocher de la citadelle ; le clapotis de leurs avirons, en traversant la rivière ; le profond murmure de leurs colonnes se formant en bataille sur les plaines d’Abraham. Ils en sont là, n’est-ce pas ?

— Oui, ils en sont là, répondirent ensemble les trois hommes étonnés de l’exactitude des renseignements que Batoche, ils le savaient bien, n’avait pu obtenir ce jour-là d’aucune lèvre humaine.

— Mais ils iront plus loin, reprit l’ermite, car j’en ai entendu davantage. J’ai entendu tonner le canon, crépiter la fusillade, siffler les fusées. J’ai entendu la plainte des blessés, le gémissement des mourants, la malédiction jetée sur les morts. Puis, après un long intervalle, le pétillement des flammes, les cris des affamés, les sanglots de ceux qui souffrent, les lamentations des malades et la voix retentissante, terrible de l’insurrection. Et tout cela, dans le camp de nos amis, tandis que, dans la ville, où sont rassemblés