Page:Lespérance - Les Bastonnais, 1896.djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
106
les bastonnais

duisant un ensemble harmonique d’un effet charmant et embaumant l’air même dans lequel elles exhalaient leurs parfums.

Tout à coup, le fantasque vieillard les brisait toutes par un seul mouvement du bras, causant une terrible dissonance capable de faire trembler la cabane sur ses fondations.

Pendant une heure au moins, debout au milieu de la place, Batoche continua à jouer presque sans aucun moment de repos. Alors il s’arrêta, resserra les clefs, fit décrire à son archet deux ou trois cercles, comme pour détendre les muscles de son bras, et puis attaqua la corde de mi. C’est là qu’il espérait découvrir le secret qu’il désirait connaître. Il arrondit les épaules, pencha l’oreille près de l’âme de l’instrument, fit pénétrer le rayon de ses yeux gris dans ses fissures serpentines et passa nerveusement les doigts de la main gauche de bas en haut et de haut en bas, pendant que son archet caressait la corde dans une série interminable d’évolutions mystérieuses.

La musique ainsi produite était étrange et surnaturelle. Le démon caché dans le corps de l’instrument parlait à Batoche. Tantôt avec le bruit d’une explosion, tantôt avec la douceur d’un chuchotement ; tantôt d’une voix perçante comme le cri d’un oiseau de nuit, tantôt d’un souffle aussi léger que l’haleine d’un bébé, le violon parlait son langage varié et magique sous la touche du sorcier.

Par moments l’air semblait sangloter et la chambre se balancer au son de la musique ; un instant plus tard, l’âme de l’exécutant était absorbée dans la mélodie. Enfin, le vieillard se redressa, rejeta sa tête en arrière, fit courir ses doigts rudement vers le chevalet et donna un violent coup d’archet.

Un bruit sec retentit, pareil à la détonation d’un pistolet. La corde venait de se briser. Batoche abaissa lentement l’instrument et regarda autour de lui. La petite Blanche, assise dans son lit, promenait autour d’elle ses grands yeux ouverts et hagards. Le chat noir, le dos en demi-cercle et le poil hérissé, fixait des yeux terribles sur le foyer.

— Bon ! murmura Batoche en allant à l’alcôve et en replaçant son violon. Il alla ensuite tranquillement à la porte qu’il ouvrit