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mais maintenant que les Américains étaient arrivés et que les troupes loyalistes se montraient déterminées à la résistance, ils se retiraient prudemment en arrière ou même trahissaient leurs bruyantes professions d’autrefois. D’autres se bornaient aux agissements secrets, comme de fournir des renseignements sur ce qui se passait dans la ville, de donner asile à ceux qui étaient poursuivis pour trahison, ou d’approvisionner de vivres et de munitions ceux de leurs amis qui en avaient besoin. Enfin, il y avait un petit nombre de déterminés, principalement de vieux soldats ou des fils des vieux soldats de Montcalm et de Lévis, qui, n’ayant jamais pu se plier à la domination de leurs maîtres anglais, dans les seize ans qui s’étaient écoulés depuis la conquête, saluaient l’arrivée des Américains comme le prélude de la délivrance et levaient fièrement l’étendard de la révolte. Ceux-ci se divisaient encore en deux classes. La première se forma en un bataillon régulier qui prit rang dans l’armée d’Arnold et suivit toutes les péripéties du siège. La seconde classe se composait de fermiers des environs de Québec, qui, dans l’impossibilité de quitter leurs familles et de faire un service militaire régulier, entreprirent une espèce de guérilla qui fut, tout à la fois, très utile aux assiégeants et tout à fait romantique. C’est parmi ces derniers, que s’étaient rangés Barbin et ses compagnons. Batoche fut appelé à se joindre à eux. Son habileté bien connue au tir à la carabine, sa parfaite connaissance de tous les bois dans un rayon de plusieurs milles, sa résistance à la fatigue et aux privations, sa bravoure poussée jusqu’à la témérité et sa fertilité en expédients, au milieu des plus grands dangers, tout le rendait précieux dans les circonstances critiques où il se trouvait ainsi que ses amis.

Mais les singularités de sa manière de vivre, l’excentricité de son caractère, ses relations supposées avec les esprits des défunts, et le don de seconde vue dont le gratifiaient les paysans de la contrée, en dépit des critiques et des risées dont il était parfois l’objet, étaient des raisons plus puissantes encore qui le désignaient comme l’un des esprits dirigeants de la secrète insurrection des habitants. Lui-même, à sa manière, favorisait le mouvement avec enthousiasme. Il n’était pas canadien, mais français de naissance. Sa jeunesse s’était écoulée dans les guerres de son pays. Quand le grand marquis de Montcalm fut envoyé à la Nouvelle-France, il l’avait suivi comme soldat du fameux régiment du Roussillon. Il avait pris part à la bataille du Carillon et partagé la gloire de la campagne de 1758. Dans les mêmes rangs, il avait assisté à l’étonnante défaite du 13 septembre 1759, sur les plaines d’Abraham. Il