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avait eu la triste consolation d’être l’un de ceux qui avaient transporté hors du champ de bataille le marquis blessé et l’avaient accompagné à l’hospice des Ursulines où il mourut et où reposent encore ses restes glorieux. Cette circonstance lui avait épargné l’ignominie d’être fait prisonnier de guerre. Avant que Murray, le successeur de Wolfe, n’entrât en triomphe dans la cité vaincue, il s’était échappé en se dissimulant le long de la vallée de la rivière Saint Charles, à la faveur des ténèbres et en se réfugiant dans la campagne. Après avoir erré sur une étendue de plusieurs milles, il s’était arrêté près des chutes de Montmorency, et s’était construit une espèce de tente rustique sur l’emplacement même où, plus tard, il éleva sa cabane solitaire. Il avait choisi cet endroit non seulement à cause de la beauté du site et de l’abri qu’il lui offrait contre toute intrusion hostile, mais aussi parce qu’il était dans le voisinage immédiat des fortifications (visibles encore aujourd’hui) que son bien-aimé commandant avait élevées là et d’où il avait repoussé Wolfe avec de grandes pertes, deux mois seulement avant la bataille désastreuse des plaines d’Abraham.

« Hélas ! s’écriait souvent Batoche, debout au milieu de ces bastions, si le grand marquis avait eu autant de confiance dans les murs de Québec, qu’il en a eu dans ces fortifications, nous serions encore maîtres du pays. Wolfe n’a dû ses succès qu’à l’imprudence de Montcalm ».

Au printemps de l’année suivante, Batoche était entré dans les rangs de l’armée du chevalier de Lévis et il était présent à la grande victoire de Sainte-Foye. Mais l’habile retraite de l’armée anglaise, commandée par Murray, sous les murs de Québec ; l’impossibilité où se trouvait Lévis de presser le siège de la ville, la débandade générale des forces françaises par toute la province et la reddition finale de Vaudreuil à Montréal, par laquelle toutes les possessions françaises en Amérique furent cédées à la Grande-Bretagne, événement qui fut l’un des plus importants des temps modernes par ses résultats ultérieurs, toute cette série de désastres força Batoche à retourner à sa solitude de Montmorency.

Il aurait pu repasser en France, s’il l’avait voulu, mais après quelque temps passé dans l’indécision, il s’était produit une circonstance qui l’avait déterminé à fixer définitivement son séjour dans le nouveau monde. Ce fut une lettre qu’il reçut de sa famille, lui apprenant la mort de sa femme et l’abjecte pauvreté dans laquelle était laissée sa fille, âgée de dix-sept ans. La jeune fille elle-même y avait ajouté une note annonçant son intention de faire voile, à la première occasion, pour rejoindre son père au Canada.