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les bastonnais

— C’est bien ce que nous avons fait, répondit l’officier.

— Et vous avez envoyé un pavillon parlementaire ?

— Oui.

— C’était pour demander une conférence ?

— C’était un ordre de capitulation.

— Cela rend les choses plus mauvaises. En ville, on a supposé que ce n’était que pour une entrevue. Quand la vérité sera connue, l’effet en sera encore plus désagréable.

— Que voulez-vous dire ? s’écria l’officier.

— Veuillez m’excuser un instant. Votre messager a été renvoyé ?

— Oui, répondit l’officier avec impatience.

— Et l’on a tiré sur le pavillon ?

— Oui, dit l’officier avec un juron,

— Eh bien, voici ce que je veux dire. Vos amis, dans la ville, sont indignés et découragés de ce que vous n’avez pas vengé cette double insulte. Ils ne peuvent s’expliquer cette conduite. Ils raisonnent ainsi : ou les Bastonnais étaient assez forts pour venger et punir cet outrage, ou ils ne l’étaient pas. S’ils l’étaient, pourquoi n’ont-ils pas immédiatement couru à l’assaut ? S’ils n’étaient pas assez forts, pourquoi s’exposer et nous avec eux à cette terrible humiliation ?

Dans le premier cas, leur inaction était une lâcheté. Dans la seconde supposition, le fait de se ranger en bataille et d’envoyer un pavillon pour demander la capitulation était une indigne fanfaronnade.

Batoche s’était échauffé suivant sa vieille habitude, en disant ces paroles. Il ne gesticulait pas et n’élevait pas la voix, mais la lueur du feu de bivouac éclairant sa figure révélait une expression de résolution et de force consciente. S’avançant d’un pas ou deux vers l’officier, il dit d’un ton plus bas :

— Ai-je trop parlé ?

— Vous avez dit la vérité ! tonna l’officier en frappant violemment la terre du pied.

Puis il murmura en anglais :

— Exactement ce que j’ai dit alors ! Ce vieux Français a exprimé la vérité dans toute sa rude nudité.

L’officier était le major Meigs, un de ceux qui avaient le plus énergiquement désapprouvé l’envoi du pavillon et dont l’opinion sur cet incident est enregistrée dans l’histoire.

Il remercia Batoche de son-précieux renseignement et lui assura qu’il répéterait au colonel Arnold ce qu’il avait dit.