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les bastonnais

Zulma demeura silencieuse pendant quelques instants, comme si elle n’eût plus trouvé rien à dire. Son père, remarquant son embarras, ramena la conversation à son cours naturel en cherchant à tirer d’elle la nature de la demande qu’elle avait l’intention de lui adresser.

— Je voulais vous demander ma liberté d’action, dit-elle, avec une énergie soudainement recouvrée. Mais je n’en ferai rien maintenant.

Des circonstances se produiront peut-être, qui viendront modifier la situation pour nous deux avant que les hostilités aient fait beaucoup de progrès. Tout ce que je vous demande maintenant est de me permettre de revoir ce jeune officier.

Le vieillard, en entendant cette innocente requête, respira plus librement et s’écria :

— Quoi ! Est-ce là tout, ma chérie ? Vous pouvez certainement le revoir. Je voudrais le voir moi-même et faire sa connaissance.

Comme je vous l’ai dit auparavant, j’ai une grande admiration pour sa bravoure et sa courtoisie à votre égard. Et, Zulma, la prochaine fois que vous le verrez, ne manquez pas d’apprendre son nom.

— C’est précisément ce que je veux savoir, dit la jeune fille avec un sourire.

— Alors, nous sommes d’accord, reprit son père, en lui tapotant les joues et en se levant pour clore l’entrevue.

Il était maintenant en bonne humeur et, de son côté, elle affecta d’être gaie, mais il y avait sur ses joues un incarnat qui dénotait la flamme qui la consumait intérieurement, et quand son père fut parti, elle se mit à arpenter de long en large le plancher de sa chambre d’un pas lent et mesuré, plongée dans de profondes et pénibles réflexions.

XIV
le roman de l’amour.

Quatre jours plus tard, le village de la Pointe-aux-Trembles fut mis en émoi par l’approche des soldats d’Arnold. Leur apparition était si soudaine et si inattendue, que les gens ne savaient comment l’expliquer et la plupart d’entre eux barricadèrent leurs maisons. Mais les Américains s’avancèrent avec le plus grand ordre. L’avant-garde, arrivée au village, fit une marche par le flanc gauche et alla établir ses quartiers sur le bord même du Saint-Laurent. Le corps principal forma les faisceaux en face de l’église et l’on distribua aussitôt des billets de logement pour toutes les maisons du village. Arnold lui-même alla loger chez le curé, qui le traita bien et invita fréquemment à sa table les principaux officiers pendant leur court séjour dans sa paroisse. Ce bon prêtre, obéissant aux instructions de l’évêque de Québec, était opposé à l’invasion américaine, mais dans l’intérêt de ses paroissiens, il jugea prudent de traiter les Continentaux avec autant que respect que possible. Sa courtoisie fut bien récompensée, car durant tout leur séjour à la Pointe-aux-Trembles, les Américains traitèrent les habitants avec une considération exceptionnelle.

L’arrière-garde traversa le village et s’échelonna le long de