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quelque manière inconcevable, entraîner la destinée de sa fille et changer le courant de leur existence mutuelle. À son attitude, la connaissant comme il la connaissait, ou peut-être ne la connaissant pas aussi bien qu’il l’aurait pu, il sentit qu’elle était sur le point de lui faire une importante communication, de lui demander quelque chose ou de l’engager dans quelque voie qui influerait sur leurs destinées respectives et conduirait précisément au mystérieux résultat dont l’ombre était déjà dans son esprit.

Mais avant qu’il eût eu le temps de dire un mot pour apaiser ses craintes ou dissiper ses conjectures, Zulma s’avança lentement et se mit tout doucement à ses genoux. Elle tourna vers lui sa figure dont les riches couleurs s’étaient subitement évanouies, mais il y avait dans ses yeux bleus une expression touchante qui fascina le vieillard.

— Papa, dit-elle, voulez-vous me permettre de vous demander une faveur ?

Le sieur Sarpy sentit son cœur se serrer et ses lèvres se contractèrent. Zulma remarqua son émotion et ajouta aussitôt :

— Je sais que vous êtes faible, papa, et que vous ne pouvez supporter les émotions ; mais ce que j’ai à vous demander est simple et facile à accomplir. D’ailleurs je me soumets d’avance à votre jugement et je me conformerai sans réserve à votre décision.

Le sieur Sarpy prit la main de sa fille dans les siennes et répondit :

— Parlez, ma chère enfant, vous savez que je ne puis rien vous refuser.

— Vous avez résolu de rester neutre, dans cette guerre ?

— C’était mon intention.

— Avez-vous pris cette résolution unique­ment dans votre intérêt ?

— Dans votre intérêt et le mien, ma chérie. Je suis vieux et infirme et ne puis prendre part aux luttes des hommes forts. Vous êtes jeune et je dois veiller sur votre avenir.