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les bastonnais

chinalement sa monture pour admirer une belle avenue d’érables conduisant à un manoir situé à droite de la route.

XV
sur la grand’route.

La maison attira l’attention de Cary par la beauté de son site et son apparence d’aisance et de confort. Il conclut aussitôt qu’elle appartenait à quelque vieux seigneur français qui, après la conquête de la province par les Anglais, s’était retiré dans la solitude de son domaine où il passait le soir de sa vie dans le calme philosophique de la retraite.

Cette vue, toutefois, n’excitait pas autrement sa curiosité et il aurait probablement continué son chemin sans plus d’attention, s’il n’avait, par hasard, aperçu deux personnes descendant du perron dans l’espace libre en face de la maison. La distance était considérable, et les arbres gênaient quelque peu la vue, mais il crut distinguer dans ces deux personnages une jeune femme et un homme âgé. Il s’arrêta un moment de plus pour regarder. Tout à coup, il vit conduire au pied du perron un cheval sur lequel la jeune dame fut aidée à se mettre en selle. Cette vue l’émut considérablement. Un soupçon — était-ce seulement un soupçon ? — traversa son esprit.

Si c’était elle ! Il chassa cette pensée, néanmoins, comme trop heureuse pour être vraie. Il était impossible qu’elle se jetât ainsi dans ses bras.

Toute cette aventure perdrait la moitié de sa saveur romanesque, par un dénouement si simple et si facile. Non ! Il lui fallait la chercher, il lui fallait peiner, attendre et souffrir encore avant de pouvoir espérer d’atteindre l’objet de son désir.

C’est ainsi que nous ajoutons à nos peines dans l’intensité de nos désirs amoureux, et Cary prenait un âpre plaisir à exagérer sa propre misère.

Toutefois, il tint son regard ardemment fixé sur cette jeune amazone qu’il apercevait au loin. Après avoir conversé pendant quelque temps avec le vieillard, elle se redressa, se mit bien en selle et s’éloigna de la maison. L’avenue d’érables au bout de laquelle se tenait le jeune officier était tout droit devant elle et, un moment, Cary crut qu’elle allait la suivre. Elle arrêta son cheval à l’entrée de l’avenue qu’elle explora de la vue jusqu’à la barrière. Ils se trouvaient ainsi en face l’un de l’autre. Elle devait l’avoir vu