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les bastonnais

En disant ces paroles, il écrivit quelques lignes au crayon sur une feuille de son carnet.

— Elle le recevra à midi, dit Batoche, en prenant la missive, et sans ajouter un autre mot, il s’éloigna toujours chaussé de ses raquettes.

Cary rentra au camp juste à temps pour prendre son rang dans le corps des grenadiers qui se mettait en marche.

Le gros de l’armée ne quitta ses quartiers que cinq jours plus tard ; mais le 29 novembre, jour où se passèrent les événements que nous venons de rapporter, les carabiniers de Morgan reçurent l’ordre de marcher à l’avant-garde vers Québec. Dans l’après-midi du même jour, par suite de ce mouvement, Singleton se retrouva presque à l’endroit même où il s’était arrêté à l’aube de cette même journée.

III
un brave oublié.

L’ouragan de neige continuait avec la même intensité. Le ciel bas et brumeux semblait se confondre avec la terre. Les bruits de la nature étaient assourdis et ressemblaient à de mystiques murmures ; la neige formait comme un blanc rideau tiré obliquement sur tout le firmament et un silence universel régnait sur le pays. Chacun était rentré dans les demeures où le calme extérieur avait pénétré et où les familles se groupaient autour du foyer comme avec le sentiment de la visible protection de Dieu. C’était comme une profanation que ce religieux silence fût troublé par le cliquetis des armes et que la paix envoyée d’en haut avec chaque flocon de neige fût violée par des desseins de vengeance et la soif de sang humain.

Invisibles dans la tempête, les carabiniers de la Virginie s’avançaient vers les murs de la cité dévouée.

Sans bruit au milieu de l’ouragan, la garnison de la vieille capitale se massait aux portes et aux remparts.

À l’abri des yeux et des oreilles, les armées d’Arnold et de Montgomery, maintenant réunies, faisaient leurs derniers préparatifs de départ à la Pointe-aux-Trembles et se disposaient à marcher à la catastrophe finale de cette lugubre tragédie de la guerre.