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les bastonnais

cœur. Était-il donc possible que cette jeune personne timide, après quelques heures seulement d’entrevue, fût entrée si avant dans son affection, que l’occasion inattendue de communiquer avec elle encore une fois lui causât une si agréable surprise ?

Malgré la rapidité avec laquelle ces conjectures traversaient son esprit, il n’eut pas le temps de les éclaircir, car Batoche continua en ces simples mots :

— Je retourne immédiatement chez M. Sarpy.

Pendant un instant. Cary fut incapable de proférer une syllabe de réponse. Il fixa son regard sur le vieillard comme pour pénétrer ses plus secrètes pensées ; mais celui-ci soutint son regard. Ses traits étaient empreints de cette expression d’énergie froide et consciente qui est l’attribut des hommes résolus et que seuls les esprits également doués ont le don de comprendre.

Cary fut aussi vivement impressionné par le calme de ses manières qu’il l’avait été par son offre singulière. Il se posa aussitôt, l’une après l’autre et avec rapidité les questions suivantes : Que savait de lui cet homme, pour l’associer dans son esprit avec la famille Sarpy ? Comment pouvait-il connaître le secret qui avait été caché à tous ses camarades ?

Zulma ne le connaissait pas, quand il s’était présenté à sa porte hier soir. M. Sarpy n’avait échangé que quelques paroles avec lui et ne l’avait certainement pas traité avec familiarité. Qui était donc ce Batoche ? Était-il un ami ou un ennemi de la cause de la liberté ? Peut-être était-il un espion ?…

Durant cet intervalle, Batoche était resté immobile, pendant que la neige s’amassait à plusieurs pouces d’épaisseur sur ses épaules courbées, mais enfin, devinant les pensées de Cary, il dit à voix basse :

— Je ne puis tarder davantage.

— Vous retournez chez M. Sarpy, avez-vous dit ?

— À l’instant.

— Mais les routes seront toutes bloquées.

— Je connais tous les sentiers.

— Nos troupes s’avancent et pourraient vous arrêter.

(Le vieillard se contenta de sourire.)

Je vais vous donner un laissez-passer.

Batoche ôta son gant et sortit de sa poche un papier plié.

Cary l’ouvrit, et reconnaissant la signature du colonel Meigs, il le lui rendit avec un sourire.

— J’accepte votre offre avec reconnaissance, dit-il. Voici un petit mot que vous remettrez à Mademoiselle Zulma.