son fauteuil, joignit les mains qu’il agita mécaniquement devant ses lèvres, et, les yeux élevés au plafond, il s’absorba dans un petit calcul.
— Soixante milles. En faisant quinze milles par jour, monsieur Arnold mettra quatre jours à atteindre Lévis. C’est aujourd’hui le 7, n’est-ce pas ? Alors, le 11, nous pouvons nous attendre à la visite de ce monsieur.
— Arnold exécutera deux marches forcées de trente milles chacune. Excellence, et arrivera en face de cette ville dans deux jours. C’est aujourd’hui le 7 ; le 9, nous verrons son avant-garde sur les hauteurs de Lévis.
— Oh ! oh ! Et c’est ainsi que procède ce gaillard de rebelle ? Il doit avoir eu tout à coup une fameuse veine, car aux dernières nouvelles que nous avons eues sur son compte, la mutinerie s’était mise parmi ses hommes, et la débandade de sa troupe était imminente.
— C’est qu’ils mouraient de faim.
— Et auraient-ils été ravitaillés, par hasard ?
— Ils l’ont été.
— Par qui ?
— Par notre propre population, à Sertigan et tout le long de la Chaudière.
— Mais leurs chevaux ? Il est bien connu qu’ils les ont tous perdus dans les régions inhabitées.
— Ils ont été remplacés.
— Pas par nos concitoyens, assurément ?
— Oui, Monsieur, par nos propres gens.
— Impossible. Nos pauvres fermiers ont été volés et pillés par ces canailles.
— Pardon, Excellence ; mais ces canailles paient généreusement pour tout ce que leur troupe réquisitionne.
— En argent ?
— Non, Monsieur, en papier.
— Leur papier continental ?
— Pas autre chose.
— Des chiffons, de vils chiffons.
— Possible, mais nos fermiers les acceptent tout de même et sans hésitation, repartit le lieutenant en sortant de la poche de son habit le petit paquet qu’il y avait serré. Il le déplia et en retira plusieurs billets qu’il remit au gouverneur.
C’étaient des spécimens du papier-monnaie américain et des reçus signés par Arnold et plusieurs de ses officiers pour des animaux de boucherie et des provisions achetées des fermiers canadiens.