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les bastonnais

apprit les mesures qu’il avait prises pour assurer son prompt retour. La visite de Roderick fut courte ; il était gêné par une contrainte mal définie qu’il remarqua dans la conversation de M. Belmont, et c’est probablement pourquoi il omit de donner les raisons qui le rendaient tout spécialement désireux de parler à Pauline. Nous avons vu qu’il attendait à la porte de la ville quand elle y arriva de grand matin, accompagnée de Batoche et de Cary Singleton.

Dès qu’ils se trouvèrent seuls et en sûreté derrière les murs, Roderick lui dit brusquement :

— Je n’aurais pas voulu, pour tout au monde, que vous fussiez absente aujourd’hui.

Pauline remarqua son agitation et l’attribua naturellement aux craintes qu’il avait eues pour sa sécurité, pendant le voyage périlleux qu’elle venait de faire ; mais elle fut bientôt détrompée, quand il ajouta :

— Il faut de toute nécessité que vous veniez au bal avec moi ce soir, ma chérie.

— Au bal ? demanda-t-elle avec une surprise exempte de toute feinte, car les événements du jour et de la nuit qui venaient de s’écouler avaient complètement chassé de sa mémoire le souvenir de la fête.

— Oui, au bal du gouverneur.

Ce fut en vain qu’elle lui représenta combien l’invitation était soudaine, son manque de préparation et la grande fatigue qu’elle venait d’éprouver. Roderick ne voulut admettre aucune excuse. Ses manières étaient nerveuses, agitées et parfois autoritaires.

— Et mon père ? dit-elle enfin, comme dernier argument.

— J’ai vu votre père hier soir. Il s’est plaint d’une indisposition et évidemment, il ne peut venir.

La manière avec laquelle Roderick, tout en parlant rapidement, appuya sur le mot peut, n’échappa point à la jeune fille.

Elle le regarda d’un air timide.

— Et si mon père ne consent pas à m’y laisser aller ? demanda-t-elle presque à voix basse.

— Oh ! mais, il consentira. Il le faut, Pauline.

Les yeux de la jeune fille se levèrent de nouveau vers lui et rencontrèrent le franc regard de Roderick.

— Je veux être sincère avec vous, ma chérie. Si vous ne voulez pas aller au bal pour moi, il faut que vous y alliez pour le bien de votre père. Comprenez-vous ?

Elle avait compris ; quoiqu’elle ne pût trouver de paroles pendant quelques instants.