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vaient passer inaperçus et plus d’une fois, quand elle venait reprendre sa position après l’exécution d’une figure, elle fut accueillie par un murmure d’approbation. Plusieurs galants vieillards français qui regardaient, en fredonnant cette musique si familière à leur oreille, exprimèrent leur approbation à haute voix aussi bien que par leur conversation à voix basse. Enfin après la seconde figure, lorsque les dix-neuf mesures caractéristiques eurent été jouées, que la chaîne anglaise eut été faite et les honneurs rendus par de profondes salutations à la compagnie distinguée et aux partenaires respectifs, les exécutants quittèrent le parquet et furent aussitôt entourés d’une foule d’amis empressés à les complimenter. Parmi ces derniers, on distinguait au premier rang la haute stature de Carleton, sa figure toute rasée et ses grands yeux aimables. Il adressa ses félicitations à plusieurs des danseurs et les remercia d’avoir si élégamment terminé la fête. Près de là se trouvait son ami Bouchette qui avait été l’un des lions de la soirée et qui profitait de ces derniers moments pour entretenir une conversation animée avec Pauline.

« Ce bal a été magnifique, disait-il, digne de notre gouverneur et du vieux Québec ; mais ce qui est tout particulièrement pour moi une source d’orgueil, c’est que la belle de la soirée a été une de mes compatriotes. Vous avez fait honneur à votre race, Mademoiselle. Je ne manquerai pas d’en faire mes compliments à mon vieil ami M. Belmont et je suis sûr que le plaisir qu’il en ressentira lui sera une compensation pour son absence.

Pauline rougit en entendant ces compliments et serra plus étroitement le bras d’Hardinge. Elle murmura quelques mots de remercîments, mais elle ne fut complètement remise de sa confusion que par la poussée de la foule sortant de la salle de bal et se dirigeant vers les vestiaires.

Bientôt après, la gaie compagnie s’était entièrement dispersée ; les lumières, au château, s’étaient éteintes une à une, et le silence régnait dans les salles où, à peine une demi-heure plus tôt, les pieds légers des danseurs battaient la mesure à la douce musique de la viole et du basson et où les échos des voix joyeuses résonnaient dans les corridors.

Un des invités qui s’était attardé plus que les autres sortit seul et se dirigea vers la place de la cathédrale. Trois heures sonnèrent à la tourelle au moment où il y passa. La nuit était obscure et d’un aspect morne et sombre que la neige des toits et des trottoirs ne parvenait pas à égayer. Pas une autre âme dans les rues. Les longues maisons carrées paraissaient comme enveloppées dans le