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les bastonnais

Alors vint le tour de son compagnon.

— Le lieutenant Hardinge, dit M. de Cramahé.

— Hardinge ? répondit le gouverneur, en tendant la main et en penchant la tête de côté, comme s’efforçant de se rappeler quelque particularité associée à ce nom.

— Oui, reprit de Cramahé. Votre Excellence se rappelle. C’est le jeune officier dont je lui ai rapporté les exploits.

— Oui, oui ! s’écria Carleton, je me rappelle très bien. Hardinge est un nom qui m’est familier. Le père de Monsieur était un de mes camarades officiers sous Wolfe. Oui, oui, je me rappelle tout.

Et prenant la main droite de Roderick dans les siennes, il ajouta à haute voix, de manière à rendre la promotion aussi publique que possible :

— Capitaine Hardinge, j’ai l’honneur de vous féliciter.

VII
l’attaque des hommes masqués.

Le bal se termina, suivant la coutume invariable des bals d’État de ce temps, par cette danse gracieuse et pittoresque entre toutes, le menuet de la cour qui, apporté de France durant le règne de Louis XIII, avait joui d’une grande popularité dans toute la province jusqu’à la conquête et a été maintenue par les gouverneurs anglais de Québec jusqu’à une date comparativement récente. Le pas marché, l’assemblée, le pas grave, le pas bourré et la pirouette furent exécutés avec une exacte précision et une noble élégance par un double quadrille de huit, choisi parmi les meilleurs danseurs de la salle. Le reste de la compagnie était rangé en groupes autour des murs. Les uns examinaient les figures d’un œil critique ; d’autres regardaient les costumes des danseurs et leurs mouvements avec une simple sensation de plaisir. Les balancements rythmiques de beaux hommes et de jolies femmes dans les méandres d’une danse produisent souvent sur les spectateurs une sensation de rêverie poétique, complètement indépendante de la musique qui l’accompagne et prenant directement sa source dans le magnétisme de la forme humaine.

Il n’est que vrai de dire que, de tous ceux qui prirent part au menuet, personne ne conquît plus de sympathie et d’admiration que Pauline Belmont. La perfection de ses mouvements, la douceur de sa figure, la modestie de son maintien et la confiance enfantine qu’elle semblait mettre dans la coopération de son robuste partenaire, Roderick Hardinge, étaient autant de traits qui ne pou-