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les bastonnais

et tortueuse côte de la montagne, marchant vivement, il est vrai, mais sans accélérer perceptiblement le pas qu’il avait pris jusque-là. Il fut bientôt arrivé au pied de la côte et il allait contourner le coin très obscur qui conduit à la rue Saint-Pierre, où il demeurait, quand il s’arrêta soudain au son d’un coup de sifflet strident parti du côté gauche. Il regarda autour de lui, écouta, serra son pardessus sur sa poitrine et saisit sa canne d’une main plus ferme. Il demeura ainsi immobile pendant quelques secondes, mais n’entendant plus rien que le clapotis des flots du Saint-Laurent à quelques verges de lui, il attribua le coup de sifflet à quelque équipe de matelots dans le port et reprit sa marche avec confiance. Il n’avait fait que quelques pas, néanmoins, quand cinq hommes emmitouflés et masqués sortirent d’une ruelle en arrière, se jetèrent sur lui et le renversèrent par terre. Toute résistance était inutile. Les agresseurs le bâillonnèrent, lui enlevèrent la canne des mains et couvrirent sa figure d’un manteau. Ils étaient sur le point de l’enlever, quand un sixième personnage bondit sur la scène.

— Halte ! cria-t-il en français.

Les hommes s’arrêtèrent,

— Relâchez votre prisonnier.

Ils obéirent à l’instant et sans observation.

— Ôtez-lui son bâillon.

Ils le lui ôtèrent.

— Rendez-lui sa canne.

Sa canne lui fut aussitôt rendue.

Aussitôt que le prisonnier se sentit libre et en possession d’une arme, il bondit au milieu de la rue et fit face à ses ennemis en brave qu’il était. Il écumait, rageait et brandissait sa canne.

— Que signifie ceci ? s’écria-t-il.

Pas de réponse.

— Qui êtes-vous.

Toujours le silence.

— Savez-vous qui je suis ?

— Oui, dit le chef, d’une voix brève et froide ; vous êtes Joseph Bouchette. Nous vous connaissons bien. Mais, partez ; vous êtes libre. Vous devez votre liberté à une intervention supérieure à la haine et à la vengeance de tous vos ennemis. Remerciez-en Dieu.

Bouchette, car c’était bien lui, resta confondu et ne bougea pas.

Le chef répéta son ordre d’un ton qui ne souffrait pas de réplique et le rude matelot, sans prononcer un autre mot, tourna sur ses talons et rentra tranquillement chez lui.

Les hommes masqués se tenaient en groupe, se regardant les uns les autres et regardant leur chef.