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les bastonnais

détaillé de la toilette portée par chacune des dames, au château… Cela pourra amuser Zulma ou la dégoûter selon son humeur au moment où elle lira la lettre. Peu importe ; cela réalisera mon dessein. Zulma m’a souvent grondée de ce que je ne suis pas assez égoïste. Je serai égoïste pour une fois. »

Avec ce plan bien arrêté, la rédaction de la lettre fut une tâche agréable et facile. Pendant que la plume trottait sur le papier, Pauline paraissait prendre plaisir à son travail. Parfois, elle souriait et toute sa figure s’illuminait.

D’autres fois, elle s’arrêtait et relisait un passage d’un air visiblement approbateur. Les pages se couvraient l’une après l’autre de ce mystique langage de la modiste que Pauline paraissait bien connaître, (et quelle jeune personne ne le connaît pas ?) car elle ne faisait ni ratures, ni corrections.

«  Et maintenant que je suis arrivé à mon propre costume, le décrirai-je ? se demanda-t-elle, et elle ajouta presque immédiatement : ce serait de l’affectation de ne pas le faire. »

Là-dessus, elle consacra toute une page à la description.

N’avions-nous pas raison de dire qu’un grand changement s’était opéré en Pauline ? Elle qui, quelques semaines auparavant, était la plus simple et la plus naturelle des jeunes filles, connaissait maintenant la signification de ce mot terrible : affectation.

Et non seulement elle en connaissait la signification, mais encore elle savait que c’était une chose à fuir et elle prenait un soin particulier à l’éviter.

Un peu plus tard, elle se demanda : ferai-je mention de Roddy ? Il était apparemment plus facile de poser cette question que d’y répondre.

Elle passa la main, d’un air fatigué, sur les cheveux lisses qui couvraient sa tempe. Elle fixait distraitement les yeux sur le tapis vert de la table et ses traits portaient une légère teinte de dureté.

À la fin, elle murmura :

«  Zulma trouverait étrange que je ne le fisse pas. D’ailleurs, je sais qu’elle admire Roddy. Oui, il faut que je lui parle du lieutenant — oh ! pardon, du capitaine, » — et elle sourit de la façon la plus naturelle. « Naturellement elle doit apprendre sa promotion. Pauvre Roddy ! Comme il en était fier ! Et il paraissait s’attacher ensuite plus étroitement à moi, comme s’il eût voulu dire que je devais partager cet honneur. »

Après avoir narré les détails de cet événement, elle ajouta quelques mots sur Carleton et Bouchette et termina en exprimant le regret, sincère chez elle, que Zulma n’eût pas été présente à la fête. Elle écrivit :