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les bastonnais

de la domination française, de 1748 à 1759, il était devenu fameux par les orgies et les bacchanales scandaleuses de l’intendant Bigot, le Sardanaple de la Nouvelle-France, dont les exploits galants et les repas somptueux auraient pu servir de sujet de roman à la plume d’Alexandre Dumas père. Après la conquête, les Anglais l’avaient presque complètement abandonné, leurs bureaux officiels étant presque tous dans la ville. À l’époque du siège, par conséquent, l’édifice était désert et dans un état quelque peu délabré, mais, dans ses vastes dimensions, il pouvait abriter un nombre considérable d’Américains, et son site avantageux donna à Montgomery l’idée d’en faire le quartier-général de ses tirailleurs. En conséquence, Morgan reçut l’ordre d’y porter un détachement choisi parmi les carabiniers. Il plaça ce détachement sous les ordres de Singleton, qui s’y établit une couple de jours après son entrevue avec Zulma. De la haute coupole du palais de l’intendant, il entretint une fusillade continue sur les points où les soldats de la garnison étaient exposés à la vue. Les sentinelles, le long des murs, furent mises hors de combat, l’une après l’autre. Chaque fois qu’un détachement envoyé en reconnaissance apparaissait au-dessus des palissades, il était aussitôt forcé de se retirer à l’abri des projectiles et les artilleurs qui servaient les canons des barbettes étaient, eux-mêmes, souvent chassés de leurs pièces par l’effet de cette mousqueterie.

Il arrivait souvent que, des environs du palais, les Américains pointaient quelques mortiers sur la ville. En ces circonstances, la vive fusillade qui accompagnait, des embrasures de la coupole, la musique de l’artillerie produisait à l’intérieur des murs, la plus vive alarme. Le tocsin sonnait et, l’un après l’autre, les bataillons de milice accouraient à la rescousse. Les assiégeants étaient fort encouragés par ces indices de succès, et s’imaginaient avoir découvert un point stratégique très important. Les Anglais, de leur côté, étaient vexés, et Carleton se décida à se débarrasser de cette source d’ennuis. À cet effet, il fit diriger une batterie de pièces de neuf sur le palais. Dès qu’il vit établir cette batterie, Cary Singleton, eut de sinistres pressentiments.

« Nous allons être écrasés, mes amis, dit-il ; mais, avant de tomber, que chacun de nous abatte son homme. » Le combat fut violent, mais bref. Les carabiniers de la Virginie envoyèrent décharge sur décharge contre les artilleurs, tandis que ceux-ci faisaient pleuvoir leurs lourds boulets sur la massive maçonnerie. D’abord, ils tirèrent bas, enfonçant les portes et mettant en éclats toute la charpente ; faisant sauter les contrevents de leurs gonds et