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les bastonnais

Sarpy ayant appris qu’un de ses amis intimes, résidant au village de Charlesbourg, était dangereusement malade et désirait beaucoup le voir, proposa à Zulma de l’accompagner dans sa visite. Le voyage était exempt de tous dangers, car bien que Charlesbourg soit assez rapproché de Québec, au nord-est et dans les environs de Montmorency, ce village était hors des limites de patrouille des forces assiégeantes et l’on pouvait y arriver par un chemin de circuit libre de toute interruption. Cette sécurité n’affectait en aucune façon Zulma, qui savait n’avoir absolument rien à craindre ; mais elle accepta l’offre de M. Sarpy avec empressement parce qu’elle lui permettait de rester auprès de son vieux père, et aussi parce que la diversion d’un voyage était un véritable soulagement à l’état de son esprit. Le trajet s’accomplit heureusement et sans incident. Le temps était favorable et les chemins d’hiver excellents. M. Sarpy ayant trouvé son ami réellement très mal, se décida à rester deux ou trois jours à son chevet. Le premier jour, Zulma lui tint compagnie ; mais le second, ayant appris que la cabane de Batoche n’était pas très loin de l’endroit où elle se trouvait, elle ressentit un irrésistible désir d’aller, en voiture, voir la petite Blanche. Son père ne crut pas devoir s’y opposer, bien qu’intérieurement il ne vît pas ce projet d’un bon œil. Chose étrange, son ami malade était en faveur de cette démarche. Souriant faiblement, il lui dit à voix basse et comme dans un souffle :

« Permettez à votre fille d’y aller. Elle peut y faire quelque bien. Batoche est un homme étonnant. Nous l’aimons tous, quoique nous puissions bien peu le comprendre. On me dit que sa petite-fille est une enfant très remarquable. Laissez aller Zulma. »

Elle partit accompagnée seulement de son propre domestique. Elle ne voulut accepter aucune autre escorte. Quand elle déboucha du chemin de Charlesbourg sur la grande route qui va de Québec, à travers Beauport, à Montmorency et au-delà, elle entendit le sourd grondement du canon et le crépitement étouffé de la fusillade, en face de la ville. Elle s’arrêta un instant pour écouter, faisant remarquer à l’homme qui l’accompagnait que le feu des forces ennemies était plus vif qu’à l’ordinaire. Mais elle ne fut pas autrement impressionnée et bientôt elle continua son voyage. Les indications qu’elle avait reçues étaient si précises qu’elle n’eut aucune difficulté à trouver la route de la cabane. Le petit sentier qui y conduisait à partir de la grande route ne portait ni la trace du passage d’un traîneau, ni une empreinte de raquette ; pourtant son cheval battit la voie assez aisément et s’arrêta en face de la hutte que l’on n’avait pas encore aperçue jusque-là. Il était à peine possible