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les bastonnais

— Oh ! non ; pas semblable, ma chère petite. La nuit, de mauvaises choses circulent au dehors. Les bêtes féroces rodent, des hommes méchants effraient l’innocence et les ténèbres empêchent le secours d’arriver aussi aisément que pendant le jour.

Blanche écoutait attentivement. Ce qu’elle entendait était évidemment quelque chose de nouveau pour elle ; mais cela ne la déconcerta point. Elle expliqua à Zulma que lorsque venait l’heure de son repos, elle disait toutes ses prières, mettait la robe de nuit que Pauline lui avait donnée, (ce vêtement était blanc en toutes saisons), couvrait le feu en hiver, fermait la porte en été, sans jamais mettre le verrou, et puis s’en allait dormir.

«  Quand grand père est dans son alcôve, je m’éveille rarement, mais s’il est absent, je m’éveille toujours à minuit. Alors je m’assieds et j’écoute. Parfois, j’entends le cri de la chouette ou le glapissement du loup. D’autres fois, j’entends le grand bruit de la tempête. Quelquefois encore, il ne se produit pas un son au dehors, excepté celui de la chute. Tant que je reste éveillée, je vois au pied de mon lit l’image de ma mère. Elle me sourit et me bénit. Alors, je me recouche et je dors jusqu’au matin. »

Les termes dont nous nous servons ne sont qu’une froide interprétation des paroles que l’enfant prononça. Il y avait dans son langage un pathos que le langage écrit ne peut rendre et qui fit verser à Zulma d’abondantes larmes.

— Chère petite, s’écria-t-elle, en la serrant sur son sein, tu ne seras plus seule désormais. J’aurai soin de toi. Tu viendras avec moi ce soir-même. Ton grand-père rentrera-t-il ce soir ?

— Quand il ne doit pas rentrer, il m’en avertit à l’avance. Quand il doit revenir, il ne dit rien. Il n’a rien dit ce matin ; il rentrera donc ce soir.

L’entrevue était si intéressante pour Zulma, qu’elle ne remarqua pas la fuite des heures. Quand elle regarda à l’horloge il était plus de cinq heures et l’ombre de la nuit s’épaississait rapidement. Se tournant vers le domestique, qui, après avoir donné ses soins au cheval, était entré dans la chambre et avait pris un siège dans un coin, elle lui ordonna d’aller jusqu’à la grand’route pour voir si quelqu’un venait. Il revint avec la nouvelle que plusieurs hommes se dirigeaient rapidement vers Québec dans un état d’excitation apparente très intense, mais que personne ne paraissait venir de la ville.

«  Il sera peut-être tard, Blanche, dit Zulma lorsque ton grand père rentrera, mais je vais attendre encore une heure. Alors nous déciderons ce qu’il faudra faire.