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les bastonnais

tes au point de vue de la syntaxe ; mais elles parlaient la poésie du cœur et leur ardente ferveur, l’absence de tout doute qui les caractérisaient fit comprendre à Zulma, pendant qu’elle les écoutait en laissant couler ses larmes, comment il se fait que les statues de pierre placées le long des routes et les statues de bois de la Madone dans les hautes niches, entendent, comme on le dit, les prières des illettrés, des infortunés et des pauvres et y répondent par des signes visibles.

— Ne souffres-tu pas d’être toute seule ici, ma chérie ? demanda Zulma en relevant l’enfant et en lissant ses beaux cheveux pendant que celle-ci s’appuyait contre son bras.

— Je suis habituée à la solitude, mademoiselle, répondit Blanche. Je n’ai jamais eu d’autre compagnie que celle de mon grand père, qui est souvent absent. Il cherche de la nourriture pour nous deux. Il tue des oiseaux et des animaux dans les bois. Il prend des poissons dans la rivière. Personne n’est jamais venu nous voir excepté dernièrement que grand père a été appelé au loin par des hommes mystérieux et est resté absent plus longtemps que de coutume. Quand il est ici, il me parle, me conte des histoires ; il m’explique les images qui sont dans quelques uns de ses vieux livres, il joue du violon pour moi.

Quand il est parti, je mets plus de temps à faire mon ouvrage, blanchir le linge, laver la vaisselle, balayer la chambre, raccommoder mes vêtements. Quand cela est fait, je cueille des fleurs et des fruits : je m’assieds auprès des chutes en tressant des guirlandes pour en orner nos images et le crucifix de grand père. Si le temps est mauvais, je chante des cantiques, je répète mon catéchisme et quand je suis fatiguée, je joue avec Velours. Il ne me quitte jamais.

Blanche ne dit pas tout cela tout d’un trait, mais en réponses aux questions répétées de Zulma qui la conduisait pas à pas sur le terrain de la conversation. Tout tendait à accroître l’intérêt que la jeune fille portait à l’enfant ; non pas précisément les réponses elles-mêmes, mais la manière dont elles étaient faites, le ton de la voix, l’expression des yeux et le geste toujours prompt.

— Mais dernièrement, dit Zulma, ton grand père a été absent pendant des nuits entières. Es-tu restée seule ?

— Oui, toute seule, mademoiselle.

— Et tu n’avais pas peur ?

Blanche sourit et un vague regard passa dans ses yeux, qui rappela à Zulma le souvenir de Batoche.

— La nuit est semblable au jour, dit-elle.