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les bastonnais

Qui nous assure que les colonies révoltées sont sincères ? Après tout, ce ne sont que des Anglais en révolte contre leur patrie. Si même cette rébellion est justifiée, ce fait nous justifierait-il de faire cause commune avec les rebelles ? Et quelle bonne raison avons-nous de croire qu’ils peuvent améliorer notre condition ? Respecteront-ils notre religion, notre langue et nos lois plus que ne le font nos maîtres actuels ? Réfléchissez sur toutes ces choses. Ne faites rien d’imprudent. Souvenez-vous de votre famille. Respectez votre réputation. Vous avez de la fortune, mais vous n’avez pas le droit de la laisser dissiper par une confiscation inutile. Elle appartient à la petite Pauline. Je respecte vos sympathies et je crois que vous aurez bientôt l’occasion de les manifester, sans faire aucun acte prématuré. Cette ville sera bientôt attaquée. Ou les assiégeants réussiront, ou ils ne réussiront pas. S’ils ne réussissent pas, vous pourrez soulager votre cœur en prodiguant vos soins aux prisonniers malades ou blessés. S’ils réussissent et s’emparent de Québec, le Canada est à eux, et ils deviendront nos maîtres à la place des Anglais. Alors, notre devoir à tous sera clair et vous n’aurez aucune peine à faire votre adhésion. »

L’évêque sourit en exposant cette proposition de sens commun et M. Belmont lui-même, complètement convaincu par la logique du raisonnement, ne put s’empêcher d’en faire autant. Il remercia Monseigneur de ses bons avis et promit, de la manière la plus chaleureuse, de les suivre.

« Faites-le, mon fils, ajouta l’évêque. Je suis satisfait de votre soumission. Avant quinze jours, vous aurez occasion de me remercier de nouveau pour ce conseil. »

M. Belmont s’agenouilla, et le prélat, se levant, prononça la bénédiction épiscopale sur son front penché, en lui donnant, en même temps son anneau pastoral à baiser.

« Priez, dit l’évêque, en faisant avec M. Belmont quelques pas vers la porte, priez et demandez à votre pieuse enfant de redoubler ses supplications, afin que le droit triomphe et que la paix soit bientôt rétablie. Le choc sera terrible. »

— Mais la ville est très forte, répliqua M. Belmont.

L’évêque sourit de nouveau et levant le doigt en signe d’avertissement, il répéta solennellement et lentement la grande leçon :

« Nisi Dominus custodierit civitatem… À moins que le Seigneur ne garde la ville, celui qui la défend veille en vain. »