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ses griefs, ses appréhensions et expliqua le changement radical qui s’était opéré dans ses opinions politiques. Il termina en demandant à l’évêque s’il n’avait pas raison de prendre une position tranchée.

Monseigneur avait écouté tout cela sans manifester aucune émotion, souriant légèrement de temps en temps, paraissant très sérieux par moments. Il répondit avec un accent de grande bonté, mais il y avait, dans chacune de ses paroles, la consciente autorité du premier pasteur.

« Et moi aussi, je suis Français, mon ami, dit-il. J’ai mes sentiments, mes préjugés, mes aspirations, comme tout autre. Si je n’avais consulté que mon cœur, je crois que vous pouvez deviner où il m’aurait conduit ; mais je consulte ma tête. Je me souviens que j’ai une conscience. Je me rappelle que j’ai, comme évêque, de graves devoirs à remplir. La responsabilité qu’ils entraînent est quelque chose de terrible. La doctrine cardinale de notre théologie est l’obéissance à l’autorité légitime. Toute la logique de l’Église est là. Ce principe pénètre toutes les phases de l’existence depuis la plus noble jusqu’à la plus humble. Il brille sur toute notre histoire. Dans le cas actuel, l’application en est bien simple. Les Anglais sont nos maîtres. Ils le sont par droit de conquête : un triste droit, mais qui n’en est pas moins parfaitement reconnu. Ils sont nos maîtres depuis seize ans. Durant ce laps de temps, ils ne nous ont pas toujours bien traités, mais c’était ignorance, plutôt que mauvaise volonté. Dernièrement, ils ont garanti les droits de notre peuple et de l’Église. L’Acte de Québec est une preuve manifeste d’un désir de justice de la part du gouvernement anglais.

« Et comment ces gens de Boston regardent-ils l’acte de Québec ? Jugez-en vous-même. L’évêque prit alors parmi les papiers épars sur la table un dessin-caricature de l’acte.

« Voyez, continua-t-il, ceci représente Boston en flammes et Québec triomphant. Le texte explique que le papisme et la tyrannie triompheront ainsi de la vraie religion, de la vertu et de la liberté. Parmi les autres personnages, regardez ce prêtre catholique à genoux, la croix dans une main et le gibet dans l’autre, aidant le roi George, comme le dit encore le texte, à mettre en force son système tyrannique de liberté civile et religieuse. Qu’en pensez-vous ? Cela ressemble-t-il à la vraie fraternité que les Américains professent, à notre égard, dans leurs proclamations ? Liberté et indépendance sont de belles paroles, mon ami. Je les aime ; mais elles peuvent être aussi des mots de réclame, et nous devons prendre garde.