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les bastonnais

Soudain Zulma remua sur son siège et tourna la tête de côté et d’autre sur le dossier de la chaise, comme si une vision flottait entre elle et la lueur du foyer. Elle ouvrit lentement les yeux, les referma en comprimant les paupières afin d’augmenter la force de son regard et les ouvrit une seconde fois. Dix heures sonnèrent ; elle s’était reposée durant deux heures. Il était temps qu’elle se levât et se retirât dans sa chambre. Elle se mit sur son séant et, dans ce mouvement, elle regarda de nouveau devant elle. Elle ne pouvait être le jouet d’une illusion : entre elle et le foyer, il y avait réellement une ombre. Par un rapide effort de sa forte volonté, elle recouvra sa pleine connaissance et reconnut Batoche. Un autre coup d’œil d’une rapidité presque douloureuse lui révéla la placidité du front du vieillard, la douceur de son regard et les traces d’un sourire restées au coin de ses lèvres. Ce spectacle la rassura tout aussitôt. Elle sentit que tout n’allait pas aussi mal qu’elle l’avait craint et qu’elle se l’était imaginé.

— Batoche, dit-elle en lui présentant la main, vous m’avez surprise, mais cette surprise est délicieuse. Vous ne pouvez vous imaginer combien je suis heureuse de vous voir. Asseyez-vous.

Alors la petite Blanche s’éveilla et s’élança des genoux de Zulma dans les bras de son grand’père. Un instant après, Zulma avait éveillé Monsieur Sarpy et, après quelques mots de bienvenue, Batoche était installé sur une chaise devant le feu, avec Blanche sur ses genoux et on lui demandait de raconter son histoire dans les plus menus détails. Zulma n’avait pas osé lui adresser la seule question prédominante dans son esprit, reposant en partie sa confiance, comme nous l’avons vu, dans l’attitude du vieillard ; mais lui, avec sa perspicacité habituelle, y répondit avant d’entrer dans le cours de son récit.

— Tout va mal et pourtant tout va bien, dit-il avec un geste rapide.

Zulma le regarda d’un air suppliant.

— Nous avons été battus, continua Batoche. Les loups ont triomphé. Beaucoup de nos plus braves officiers ont été tués, mais le capitaine Singleton n’a été que blessé.

— Encore blessé ! s’écria Zulma.

— Mais pas très sérieusement. Il est tombé, mais je l’ai relevé de dessus la neige et il a pu se tenir debout et marcher.

— S’est-il échappé ?

— Il ne l’a pas pu, j’ai essayé de lui persuader de me suivre. Il m’a ordonné de prendre la fuite, mais en déclarant qu’il devait rester avec ses soldats.

— Eh bien ?