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les bastonnais

— Il a été fait prisonnier, mais soyez tranquille, il est entre bonnes mains.

— Entre bonnes mains ?

— Oui, j’ai vu Roderick Hardinge en face de lui et je suis sûr qu’il l’a reconnu.

— Le ciel en soit loué !

— Il est maintenant dans les murs de Québec, mais il sera bien soigné.

Batoche reprit alors son récit du commencement et il en relata toutes les circonstances, d’après ce dont il avait été lui-même témoin et ce qu’il avait appris ensuite aux quartiers généraux.

La narration fut graphique, lucide et telle qu’on pouvait l’attendre d’un soldat si intelligent. Minuit sonna avant qu’il n’eût terminé son histoire et ses auditeurs l’écoutèrent avec la plus grande attention.

— Et maintenant, en ce qui vous regarde, dit M. Sarpy, comment avez-vous pu vous échapper ?

Batoche et la petite Blanche sourirent et l’enfant se blottit plus étroitement encore dans les bras de son aïeul.

— Ne vous ai-je pas toujours dit que les loups ne pouvaient pas me prendre ? Du moins, ils ne me prendront jamais vivant. Quoique, mes hommes et moi, nous nous soyons engagés comme éclaireurs seulement, quand l’attaque finale sur la ville fut décidée, je résolus d’être présent. Je désirais prendre part à cette grande revanche, si nous étions vainqueurs, et si le sort nous était contraire, je voulais partager les dangers de ceux qui combattaient pour notre liberté. D’ailleurs je ne pouvais abandonner Cary Singleton, mon cher ami, et l’ami de la bonne demoiselle qui a si grand soin de ma petite fille.

Zulma remercia par un gracieux salut et aussi par des larmes de reconnaissance.

— D’abord tout parut nous être favorable, mais après que le colonel Arnold eût été blessé, le désordre se mit dans nos rangs et je vis aussitôt que la partie était perdue pour nous. Ce qui ajouta à notre désastre, ce fut de nous trouver en face de nos compatriotes ; nos propres compatriotes, Monsieur Sarpy. C’était Dumas, qui était à leur tête ; c’était Dambourgès, qui accomplit des prodiges de valeur ; c’était un géant, nommé Charland, qui s’élança sur la barrière et retira nos échelles de son côté. La vue de ces choses m’exaspérait et me paralysait. Si nous n’avions eu affaire qu’aux Anglais, nous aurions réussi, mais les Français se mirent de la partie, et ce fut trop. Quand enfin nous fûmes complètement entourés et que nos