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les bastonnais

hommes tombèrent de tous côtés, le capitaine Singleton, comme je l’ai dit, m’ordonna de m’échapper. « Vous ne pouvez faire aucun bien maintenant, dit-il, nous sommes perdus. Fuyez et apprenez à nos amis ce qui est arrivé. Dites à M. Sarpy et à Mademoiselle Zulma que je ne les ai pas oubliés dans ce malheur, le plus terrible de ceux qui ont fondu sur moi. » J’ai obéi à ces ordres. La fuite était presque aussi désespérée que la marche en avant. Accompagné de mes hommes et de quelques sauvages, nous nous jetâmes dans un étroit sentier longeant la rivière, jusqu’à ce que nous eussions atteint la rivière St-Charles couverte de glaces. Nous traversâmes cette rivière avec la plus grande difficulté. Nous eûmes à courir sur l’espace de deux milles sur des glaçons refoulés par la marée et nous rencontrâmes beaucoup de mares que nous cachaient l’obscurité et la neige tombante. Après des dangers et des misères sans nombre, nous réussîmes à atteindre la rive opposée d’où nous pûmes entendre les derniers bruits de la bataille. Nous nous arrêtâmes pour écouter jusqu’à ce que tout fût retombé dans le silence et nous sûmes ainsi que le sort de nos infortunés compagnons était scellé. Alors nous nous dirigeâmes vers les quartiers généraux de Ste-Foye où nous fûmes les premiers à communiquer la terrible nouvelle au colonel Arnold. Là, nous apprîmes aussi les détails complets de la défaite de Montgomery. Après avoir pris un repos dont nous avions le plus grand besoin, je renvoyai mes hommes dans leurs foyers pour s’y reposer quelques jours et je dirigeai mes pas vers ce manoir. Me voici et je vous ai fait mon récit. N’avais-je pas raison de dire que tout va mal et que pourtant, tout va bien ?

IV
jours d’attente.

Maintenant que Zulma savait tout, son anxiété n’était guère moindre que lorsqu’elle était en proie à ses pénibles appréhensions. C’était pour elle, sans doute, un grand soulagement de savoir que la blessure de Cary n’était pas dangereuse et que, son sort étant d’être prisonnier, il aurait les bons soins de Roderick Hardinge. Elle n’avait pas le moindre doute sur les bonnes dispositions de ce dernier à l’égard de son ami. Elle éprouvait même une certaine satisfaction à la pensée que Roderick traiterait bien Cary, précisément par égard pour elle-même. En réfléchissant sur ce sujet, elle se surprit plus d’une fois à exprimer mentalement une profonde admiration à l’égard de l’officier anglais. Elle se représentait avec une grande intensité de sentiment, la beauté de sa personne,