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titudes étaient précisément ce qu’elle ne pouvait plus supporter. Une autre source d’anxiété pour son père et pour elle était l’absence complète des nouvelles d’Eugène, depuis le grand événement. Auparavant, ils en recevaient souvent, soit directement, soit grâce aux visites de Batoche à la famille Belmont.

Enfin, au bout d’une quinzaine de jours, Batoche arriva au manoir Sarpy porteur de nouvelles plus précises. Il n’avait pas réussi, lui-même, à pénétrer dans l’intérieur de la ville, mais il avait rencontré par hasard, dans les bois, près de sa hutte, à Montmorency, un de ses compatriotes brisé par la fatigue et les privations, qui avait déserté de la milice. Il avait appris de lui que les prisonniers étaient renfermés dans une partie des bâtiments du séminaire où ils occupaient des quartiers confortables et précisément, l’une des causes de sa désertion était que ses compagnons et lui étaient privés de leurs meilleures rations, au profit de ces détenus. Il apprit aussi qu’à l’attaque du Sault-au-Matelot, les élèves du séminaire avaient pris part au combat et s’étaient conduits assez bien, mais qu’aucun d’eux n’avait été blessé. Ceci fut un grand soulagement pour Monsieur Sarpy et pour Zulma, et leurs pénibles appréhensions au sujet d’Eugène s’évanouirent. Une autre nouvelle apportée par ce déserteur fut que, après avoir tiré le fatal coup de canon à Près-de-Ville, la petite garnison de la redoute avait été prise de panique et avait pris la fuite avec la plus grande précipitation. Ce ne fut que lorsqu’ils s’étaient aperçus qu’ils n’étaient pas poursuivis, que les fuyards avaient osé revenir.

— Ah ! s’écria Batoche, si l’officier qui prit le commandement après le brave Montgomery avait seulement pressé l’attaque, la redoute aurait été enlevée, Arnold aurait reçu des renforts, l’assaut combiné aurait eu un succès complet et Québec serait à nous !

— Quel est le nom de cet officier ? demanda Zulma.

— Je ne le connais pas, mais je crois qu’il s’appelle Campbell.

— Lâche ou traître ! s’écria la jeune fille en bondissant de son siège, le mépris peint sur ses traits contractés.

Quelle qu’en soit la cause, la conduite de Campbell fut inexplicable. Il paraît hors de doute qu’il aurait pu continuer l’assaut avec succès après la mort de Montgomery et il est plus que probable que son triomphe aurait assuré celui d’Arnold. Mais il est inutile de discuter ce point. Un grand capitaine a dit que la guerre est faite, en grande partie, d’accidents favorables ou défavorables.