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les bastonnais

V
l’invalide.

Batoche avait déployé sa prescience habituelle en prédisant que la garnison de Québec se relâcherait bientôt de sa vigilance. Arnold, avec les faibles restes de ses forces vaincues, renonça à investir complètement la ville, et se contenta d’en continuer activement le siège. Il incendia les maisons du faubourg qui gênaient son plan d’opérations. De son côté, Carleton fit une ou deux sorties pour brûler le reste des maisons de St-Roch, dans le double dessein de nettoyer l’espace devant ses canons et de fournir la ville de bois à brûler, dont l’approvisionnement s’épuisait rapidement. À la tête de ses deux mille hommes, il aurait pu facilement fondre sur les cinq ou six cents Américains et les mettre en déroute ou les faire prisonniers, faisant ainsi cesser le siège ; mais pour quelque raison que l’on n’a jamais expliquée d’une manière suffisante, il préféra imiter Fabius et compter, pour la délivrance finale, sur le retour du printemps et l’arrivée de renforts du côté de la mer. Il maintenait une bonne discipline parmi ses troupes ; mais il était naturel que, vu la fastidieuse lenteur du siège et la longue inaction qui avait suivi l’attaque du 31 décembre, ses hommes fussent plus ou moins démoralisés.

La désertion citée au chapitre précédent fut suivie de beaucoup d’autres, spécialement de soldats américains qu’il avait imprudemment incorporés dans un de ses régiments, au lieu de les garder rigoureusement comme prisonniers.

Ces hommes saisissaient toutes les occasions de s’échapper ; c’est par eux qu’Arnold fut informé de tout ce qui se passait dans la ville. Parmi ces sources d’informations, il y avait de longues lettres écrites par ses officiers prisonniers. Dans l’une de ces missives, on lui annonçait que la blessure du capitaine Singleton ayant déterminé une sérieuse inflammation de poumons, il lui avait été permis de se faire transporter dans une famille. Aussitôt que Batoche apprit cette importante nouvelle, il se rendit en toute hâte au manoir Sarpy pour la communiquer à Zulma.

— Quels peuvent bien être les bons amis qui l’ont recueilli ? dit la jeune fille après avoir déploré le nouveau danger qui menaçait son ami.

— Ne pouvez-vous deviner ? demanda Batoche, dont le sourire plein d’intelligence alla droit au cœur de Zulma.

— J’espère que vous devinez juste.

— Vous pouvez en être sûre ; mais pour dissiper tout doute, je suis décidé à me trouver un accès dans Québec ce soir. J’ai un plan qui réussira. Le déserteur que j’ai rencontré l’autre jour m’a donné son uniforme en échange d’autres vêtements qui lui permettront de circuler dans le pays en sécurité. Je me déguiserai au moyen de cet uniforme. Les loups me prendront pour l’un d’eux. Je porterai le mousquet, le sac et tout le fourniment. Si vous avez quelque message ou des lettres pour vos amis, préparez-les sans retard. Je les porterai sur moi de manière qu’ils ne seront pas découverts et je les remettrai intacts. Je me suis mis dans la tête d’entrer dans la ville cette nuit et je le ferai. Le capitaine Singleton est malade et je dois le voir en personne.