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les bastonnais

M. Belmont sourit faiblement en entendant ces paroles. Il pensait à la visite de Batoche.

— Ce sera précisément l’incident désiré, murmura-t-il en a parte.

VI

Quand Roderick sortit, Pauline l’accompagna jusqu’à la porte d’entrée, mais elle ne fut pas longtemps absente, désireuse qu’elle était d’assister à l’entrevue de Cary et de Batoche. Le vieillard, debout près de la couche de son jeune ami, observait très attentivement les symptômes qui se présentaient à son œil exercé. Lui qui avait été si souvent exposé aux sévérités de l’hiver canadien et aux rigueurs de la vie du chasseur, connaissait parfaitement la maladie qui, plusieurs fois, avait menacé sa propre existence.

— Ses deux poumons sont très gravement attaqués et il est d’une très grande faiblesse, dit-il à M. Belmont et à Pauline ; mais son teint clair indique chez lui une robuste constitution, et le repos de ses membres prouve qu’il est doué d’une force remarquable. Il a reçu une balle sous l’épaule droite et le lobe supérieur du poumon a probablement été effleuré. Il s’est raidi contre ce choc, dépensant ainsi une grande partie de la force vitale qu’un repos absolu, dès le commencement, lui eût épargnée. Sa position est grave, mais je crois avec le docteur qu’il s’en tirera. D’ailleurs, ajouta Batoche, de cette étrange voix d’oracle désormais familière à ceux qui l’écoutaient, Cary Singleton ne peut pas, ne doit pas mourir. Non seulement sa jeune existence est précieuse, mais d’autres existences bien chères dépendent de la sienne. Que deviendrait Zulma Sarpy, sans lui, elle qui se tourmente à la seule pensée de sa maladie ? Et vous, Pauline, je suis sûr que vous ne désirez pas qu’il meure ?

Deux grosses larmes brillèrent dans les yeux de la pauvre jeune fille : ce fut toute sa réponse.

À ce moment, la tête du malade remua légèrement sur l’oreiller, le corps se contracta un peu et Cary ouvrit les yeux. Il n’y avait aucun égarement dans son regard. Il s’éveilla sachant où il se trouvait : non dans une maison étrangère, mais parmi ceux qu’il aimait et qui le soignaient avec la plus grande affection. Pauline fut la première à s’approcher de lui. Elle lui fit une question et il lui répondit dans la même langue, aussi naturellement que si le français avait été sa langue maternelle. Batoche fut enchanté de ce qu’il voyait et qu’il regardait comme un symptôme satisfaisant. Cary accepta une potion des mains de sa belle infirmière, puis se reposa sur son oreiller, l’air tout réconforté. À ce moment propice, ses yeux rencontrèrent ceux de Batoche, qui se tenait un peu