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les bastonnais

VII
le sort de donald.

Avant de prendre congé de Batoche, M. Belmont l’avertit solennellement de tous les dangers qu’il courait, lui rappelant qu’il est souvent plus difficile de sortir d’une expédition comme celle qu’il avait entreprise cette nuit que de passer heureusement à travers les difficultés du début. Batoche n’était pas du tout indifférent aux dangers qu’il bravait ; aussi, après avoir remercié son hôte, promit-il d’exercer la plus grande prudence. M. Belmont attira particulièrement son attention sur une patrouille commandée par le vieux serviteur de Roderick, Donald, homme déterminé, animé des sentiments les plus implacables contre tous ceux qu’il soupçonnait de déloyauté envers le roi.

— Je sais qu’il a contre vous une rancune toute particulière, à cause de vos incursions nocturnes, et s’il vous surprend, il vous traitera sans pitié.

La nuit était sombre comme la mort, sans une seule étoile au firmament, sans la plus petite lampe dans les rues. En quittant la maison, Batoche se dirigea hardiment dans un étroit sentier qui conduisait aux remparts, du côté de la rivière St-Charles, puis ralentit le pas, se glissant le long des murailles des maisons. Ce sentier débouchait sur un petit jardin que le vieux chasseur se vit obligé de longer sur toute la longueur. Il n’entendit rien, ne vit rien ; seulement, il lui sembla que les arbres dépouillés de leurs feuilles le regardaient et semblaient l’avertir de l’approche d’un danger. Batoche disait souvent qu’il comprenait le langage des arbres et, ce soir-là, leur aspect troublait certainement plus que d’habitude son âme ordinairement imperturbable ; cela lui fit presser le pas. Quand il eût atteint environ le tiers de la longueur du jardin, il sentit distinctement qu’il était suivi. Il se retourna et vit une figure sombre à une certaine distance derrière lui. Il comprit instinctivement le danger qu’il courait. Il s’arrêta ; celui qui l’épiait s’arrêta. Il avança ; l’autre avança. Il traversa la rue obliquement ; l’autre la traversa de même. Il revint ; l’autre revint. Il aurait pu s’élancer sur celui qui le poursuivait, mais cela aurait probablement occasionné des cris et d’autres bruits, ce qu’il fallait naturellement éviter. Il eut recours à la fuite. Léger comme un cerf, il vola le long de la clôture du jardin, tourna et se cacha derrière un gros arbre qui faisait le coin de la rue. L’autre, également agile, fut bientôt près de lui.