Page:Lespérance - Les Bastonnais, 1896.djvu/230

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
228
les bastonnais

est avec eux. Si je vis et que j’obtiens ma liberté, ma première visite sera pour eux. Si je meurs…

— Mourir, capitaine, mourir ! s’écria Batoche d’une voix retentissante qui étonna Pauline et son père. Un soldat ne meurt pas ainsi. Tout n’est pas perdu : Nous combattrons encore côte à côte. Un jeune homme ne meurt pas ainsi. La mort, c’est bon pour des vieillards comme moi. Vous avez devant vous un glorieux avenir. Mourir ?… Non, vous ne mourrez pas, capitaine Singleton. Vous devez vivre pour l’amour de vos parents et de vos proches qui vous attendent là-bas, dans le vieux village aux pays du sud et vous ne briserez pas le cœur de ces deux jeunes Canadiennes dont le bonheur dépend du vôtre.

Batoche lança cette dernière phrase surtout dans une sorte d’enthousiasme téméraire. Mais il savait bien ce qu’il disait.

Pauline fut stupéfiée de l’audace de cette parole. M. Belmont écoutait dans le silence de l’étonnement. Quant à Cary, il regardait les yeux grands ouverts, comme s’il écoutait un commandement jeté par une sonnerie de clairon, sur l’ordre d’une puissance invisible qui pouvait tout pour le sauver.

Les couleurs de la santé reparurent tout-à-coup sur ses joues ; son front s’éclaira d’un rayon d’intelligence tout différent de la torpeur mortelle qui l’accablait naguère et en s’étendant plus à son aise sur sa couche, il parut doué d’une vigueur que la confiance seule pouvait faire naître. Il était évident aussi qu’en ce moment, il était parfaitement heureux.

— C’est bien, murmura M. Belmont en mettant la main sur l’épaule de sa fille. Voilà cette salutaire réaction dont parlait le docteur.

Batoche paraissait tout-à-fait satisfait de ce qu’il avait fait et après un moment, il dit adieu à son ami.

En bas, dans le corridor, seul avec M. Belmont, il remit ses autres messages : une lettre de Zulma à Pauline et une autre de Monsieur Sarpy à son fils Eugène. M. Belmont devait faire parvenir cette dernière de la manière qui lui paraîtrait la meilleure pour ne pas se compromettre. Batoche fit aussi remarquer avec plaisir que Cary n’avait pas soufflé mot d’affaires militaires. Il regardait cela comme une preuve que l’esprit du jeune homme était complètement à l’aise.