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que ceux que je reçois de vos mains, et si je guéris, comme je le crois maintenant, j’estimerai toujours devoir la vie à Pauline Belmont.

Ce petit discours causa la plus grande émotion à la jeune fille. Il fut prononcé sur un ton calme mais pathétique, et la dernière phrase fut accompagnée d’un regard plus expressif qu’aucune parole. Des mots, du geste, du regard, rien n’avait échappé à la jeune fille, mais ce qui la frappa surtout et lui parut plus significatif que tout le reste, fut que, pour la première fois, son patient l’avait appelée par son nom, Pauline.

Plus tard, dans le cours de la journée, quand Pauline fut seule pour quelques instants, elle reprit la lettre de Zulma et la relut plus attentivement. Elle ne put se dissimuler que c’était l’œuvre d’un noble cœur, plein de généreux sentiments et animé de cette sympathie qu’une véritable amie doit témoigner en des occasions aussi pénibles que celle-ci, Zulma parlait éloquemment des dangers et des anxiétés qui devaient avoir été le partage de Pauline, dans cette terrible matinée de décembre, et elle lui renouvelait son invitation d’abandonner la malheureuse ville et de se réfugier dans le paisible manoir de la Pointe-aux-Trembles. « Vous n’êtes pas faite pour de si terribles scènes, ma chérie, écrivait-elle ; je pourrais les supporter mieux que vous, car tel est mon naturel. Vous devriez être à ma place et moi à la vôtre. Je pourrais ainsi supporter la fatigue de soigner celui qui est notre plus cher ami à toutes deux. »

Telle était la phrase qui avait intrigué Pauline à la première lecture et la rendait encore perplexe à la seconde. C’est à cause de cette phrase qu’elle n’avait pas lu la lettre à Cary. Que voulait donc dire Zulma ?

« Elle se trompe beaucoup, se dit Pauline, si elle me croit incapable de supporter le fardeau dont la Providence m’a chargée. Je ne suis plus ce que j’étais. Ces deux mois de troubles incessants m’ont donné un courage dont je ne me serais jamais crue capable. Ils m’ont complètement changée. J’aurais pu rester hors de la ville, et aller à la Pointe-aux-Trembles ; mais c’est moi qui ai persuadé à mon père de revenir chez nous, et je ne le regrette pas. Je ne quitterais pas aujourd’hui cette maison, même si je le pouvais.

Malgré tout le prix que j’attache à la compagnie de Zulma, à ses avis et à son exemple, je ne consentirais pas à changer de place avec elle.

Pauline parcourut de nouveau la lettre du regard.

« Quelles singulières expressions elle emploie en parlant de mon pauvre patient ! Elle ne parle pas de lui comme de son plus cher