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commençaient à bourgeonner et les cieux palpitaient d’une atmosphère de chaleur génératrice. Les bestiaux renfermés pendant de si longs mois dans les ténèbres de leurs stalles se chauffaient paresseusement au soleil ou s’attroupaient sur les versants méridionaux où la jeune herbe commençait à pousser. Les moutons bondissaient sur le flanc des collines, les portes et les fenêtres des fermes s’ouvraient toutes grandes pour laisser entrer le bon air rafraîchissant ; les enfants jouaient sur le gazon ; une vapeur blanche s’élevait des fissures et des lézardes des greniers chauffés ; les cours des fermes se remplissaient de sons ; les pigeonniers laissaient entendre des roucoulements ; les hirondelles peuplaient les auvents, et les couvertures de chaume des étables étaient couvertes de volailles à l’affût des premiers vers. C’était la résurrection de la nature, ressentie avec plus de joie sous les latitudes arctiques que partout ailleurs. Des montagnes qui se dressaient dans le lointain, les nuages de vapeur dense qui s’élevaient et se déroulaient au loin, laissant les sommets recevoir les premiers baisers de la rosée et les derniers rayons du soleil couchant, étaient des emblèmes de la tristesse de l’hiver remplacée par le renouveau du printemps qui faisait naître de nouvelles espérances et des intérêts ravivés dans les âmes. Le crocus de la lande, l’anémone de la prairie, le cresson des eaux ombragées, le bourdonnement du premier insecte, le gazouillement du nid de mousse, le murmure des ruisseaux dans la forêt, tout chantait la renaissance et la vie.

D’autre part, il y avait dans la splendeur de la saison un caractère moral. Le temps rigoureux du carême avec ses vigiles, ses jeûnes, ses mortifications et ses pénitences était passé. Passée aussi la semaine sainte avec ses plaintes et ses lamentations, ses confessions de péchés, ses appels à la miséricorde, les fenêtres obscurcies par des voiles violets et les autels dépouillés, les cierges éteints et les cloches muettes, enfin les 14 stations de cette via crucis qui retracent l’ineffable histoire de l’Homme de douleurs et de la Mère de pitié. On était au matin glorieux du jour de Pâques. De brillants ornements couvraient le célébrant, le sanctuaire resplendissait de mille lumières, l’encens parfumé s’élevait en spirales vers le ciel, emportant les sentiments de reconnaissance des cœurs ouverts à la grâce. De la colline à la vallée, la musique des cloches, dans chaque tourelle et dans chaque clocher réveillait les échos retentissants ; même les cloches des églises et des couvents de la vieille ville assiégée, elles qui avaient si souvent sonné l’alarme de la bataille durant la nuit, prenaient une nouvelle voix pour célébrer le « Grand jour que le Seigneur a fait, » et de même que