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les bastonnais

Ce fut en vain que Zulma essaya de le réconforter ; son cœur ne l’inspirait pas, et elle ne pouvait par conséquent aller au-delà des lieux communs. Finalement un profond silence se fit entre eux. Ils s’étaient dit, sans doute qu’ils devaient faire un pas de plus et regarder en face une situation redoutée, mais ils n’en firent rien, peut-être ne l’osèrent-ils pas. Pourquoi ? La suite nous le dira. L’entretien finit par ces mots :

— Il me faut retourner au camp, mademoiselle, remettons ce sujet ; j’ai autre chose à dire, mais j’ai besoin de me recueillir.

— Moi aussi, j’ai quelque chose de plus à dire, Capitaine.

Cary tressaillit en entendant ces paroles dont le ton étrange le frappa. Il regarda Zulma et lui trouva la figure pâle comme le marbre. Ses yeux étaient fixés bien loin au-delà du St-Laurent. Il s’imagina (était-ce seulement un effet de son imagination ?) qu’elle était un peu piquée.

— Retournerons-nous au manoir ? demanda-t-il presque timidement.

— S’il vous plaît, répondit tranquillement la jeune fille. Ils avançaient lentement à travers la prairie, et remontaient l’avenue en parlant peu, et au sujet seulement d’objets rencontrés sur leur passage. Inconsciemment ils étaient devenus timides l’un avec l’autre. Quand ils eurent atteint la pelouse en face du manoir, ils s’arrêtèrent et soudain Zulma éclata d’un franc rire.

— Nous sommes tous deux des enfants, Monsieur, dit-elle, je vous croyais un grand soldat et je vous trouve enfant. Je me croyais une femme au caractère fortement trempé et moi aussi je ne suis qu’une enfant.

Et elle continua de rire à gorge déployée. Cary fut intrigué, mais il ne put réprimer un sourire. Il ne lui demanda pas le sens de ses paroles. Il sourit seulement en voyant que sa sérénité habituelle lui était revenue.

À ce moment précis, le soleil couchant versait ses rayons à travers les arbres, inondant la pelouse de lumière, et soulevant, pour ainsi dire, le jeune couple dans une espèce de transfiguration. Ils étaient idéalisés. Lui, apparaissait comme un chevalier des temps légendaires, et elle, comme une reine de féerie. Tous deux étaient beaux, et tous deux étaient heureux, encore une fois.

Zulma frappa à la porte, et la servante qui vint ouvrir lui remit une lettre. Elle l’ouvrit à la hâte, parcourut la page, et étendant les bras, laissa échapper un gémissement de terreur pendant que ses yeux se fixaient d’une manière étrange sur le jeune officier.

— Qu’y a-t-il, Mademoiselle ? qu’y a-t-il ?

— Pauline se meurt !