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les bastonnais

longtemps liée d’amitié avec le major Hardinge, et le major lui était tout dévoué ; on pouvait même dire que leurs relations étaient du caractère le plus tendre. Enfin cet officier américain, à moins que M. Belmont ne fût bien trompé, avait contracté une profonde affection pour la fille de sieur Sarpy, affection qui lui était retournée et il avait toute raison de croire que Pauline n’en ignorait rien.

— Un instant, dit le vieux docteur, en prenant une pincée de tabac, et en souriant malicieusement, voici peut-être un indice. Votre fille peut être tombée en amour avec ce jeune rebelle, (les jeunes filles ne peuvent pas empêcher de telles choses, vous savez), et la pensée que son cœur appartient à un autre est peut-être précisément ce qui a obsédé son esprit et produit son état actuel.

— Mais Zulma Sarpy et ma fille sont des amies intimes.

— Tant pis ; sa peine morale n’en est que plus grande, et ses combats contre elle-même, plus terribles.

— Mais le major Hardinge ?

— La, la, la ! Votre major !… elle peut l’avoir aimé jusqu’à ce qu’elle ait vu l’autre jeune homme, et alors, ma foi… D’un major à un capitaine, d’un loyaliste à un rebelle, il y a une chute ; Eh ! mon ami, que voulez-vous ? Ces choses-là ne peuvent pas se contrôler : Cela arrive tous les jours. Savez-vous si elle est engagée, en quelque sorte avec ce major ?

— Elle ne l’est pas.

— Comment le savez-vous ?

— Elle me l’a dit elle-même.

— Dans quelle circonstance ? Excusez cette liberté, mon ami, mais avec les confessions des femmes tout dépend des circonstances. Si c’est par la persuasion, les femmes peuvent vous dire la vérité, car leur cœur est bon après tout ; mais si c’est sous le coup de la menace, de la contrainte ou par stratagème, elles peuvent désorienter le plus perspicace d’entre nous.

— Sa déclaration fut dictée par le sentiment du devoir et il y a de cela quelques semaines seulement ; j’étais ennuyé des manières d’Hardinge à mon égard et même avec elle, après la mort de son serviteur, tué comme vous vous le rappelez. J’ai dit à Pauline que je lui demanderais une explication de cette conduite si elle se répétait, et à la même occasion, je lui ai demandé si elle était engagée envers lui de quelque façon. Sa réponse fut une simple et droite négation, et l’enfant est incapable de mensonge.

— Voilà qui va très bien, cela fait disparaître une difficulté. Son esprit ne souffre d’aucun engagement envers le major.

— Mais son amour pour lui doit subsister ?