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les bastonnais

à bouche, avec cette merveilleuse douceur qui est le don le plus divin que Dieu ait fait aux femmes. Pauline se sentit ranimée, en cette occasion. Elle était si heureuse de voir Zulma, elle qui avait désiré mourir seule et oubliée ! C’était presque, pour elle, l’aurore de la résurrection que d’avoir enfin auprès d’elle cette amie bien aimée. Tout fut passé en revue, tranquillement, graduellement, avec des interruptions causées par des larmes ou des baisers, mais si rapidement toutefois qu’une demi-heure s’était à peine écoulée, que Zulma avait pris une résolution héroïque.

Après avoir, d’un geste caressant, repoussé les cheveux humides égarés sur les tempes palpitantes de la malade, elle se leva sereine, majestueuse, le regard illuminé d’un éclair de détermination énergique et les traits empreints de la placidité de l’héroïsme. Elle sortit de la chambre et appela Batoche.

— Prenez ma calèche. Courez au camp et ramenez le capitaine Singleton sans délai. Dites lui qu’il faut qu’il voie Pauline avant le coucher du soleil, et que je le désire.

Le vieillard comprit et ne se fit pas répéter ses instructions.

— Bon, s’écria-t-il. Voilà une admirable jeune fille. Elle a tout compris au premier coup d’œil. Ce que je ne pouvais pas faire, elle l’a fait. Maintenant, Pauline est sauvée. Pauvre Pauline !

Durant trois heures, les deux amies demeurèrent en tête-à-tête, les mains dans les mains. Des paroles pleines d’ineffable tendresse furent prononcées. Il y eut des intervalles de silence non moins remplis de bonheur. Les yeux, comme les lèvres, parlaient un langage de parfaite intelligence mutuelle.

Le sujet de Zulma était l’espérance. Elle atteignit bientôt le point où elle repoussa l’idée de la mort et insista sur la nécessité de vivre pour leur bonheur mutuel. Non pas pour le salut de Pauline, mais pour sa propre tranquillité. Maintenant qu’elle savait tout, elle voyait qu’il fallait que la mort fût dépouillée de son aiguillon et que le tombeau renonçât à sa victoire.

Pauline consentait-elle ? Elle ne le disait pas — comment l’eût-elle osé, elle qui se mourait sans espoir ? — Mais dans ses yeux renfoncés se jouait une lueur fugitive qui semblait être un reflet du rayon de soleil désiré et attendu.

L’après-midi s’écoula doucement, paisiblement. Le soleil glissait derrière les arbres et les grandes ombres s’allongeaient sur la vallée, obscurcissant légèrement le jour tamisé par les petits carreaux de vitre. L’heure solennelle du crépuscule était arrivée. La cloche du village voisin sonnait l’Angelus et Zulma était